Propos orientés

Il appelle à 4h du matin, il dit : J'étais au Bataclan, troisième rangée... J'ai dit à une femme enceinte de se coucher à terre... Quand ils ont ouvert les portes de gauche, un flic a crié Courez ! Le temps de charge sur son chargeur, on avait le temps de passer ... Dépressif, sans revenus, sans domicile fixe, il vit de colis alimentaires. Il dit aussi : Je m'occupe de la fille de ma copine, 9 ans, qui ne va pas bien, je suis allé à l'école voir la psychologue et à la mairie pour qu'on s'occupe d'elle ●■

Qui peut nier l’humanité d’une personne quand on vient d’entendre son histoire ? Qui peut lâcher un missile sur un marché quand il ou elle connaît l’histoire de la femme qui tient le stand de fruits ? Merveilleux plaidoyer pour l'art et l'acte d'écouter, par l'écrivain irlandais Colum MacCann. Extraits.

Notre époque épique ne manque pas de tics et de tocs. Parmi eux, Et surtout profite ou Profite bien raisonne au moment d'un départ en vacances, en retraite, d'une fête entre amis ou de l'annonce d'un concert de légende avec un groupe de rock vintage. Mais que dit cette expression ? Est-ce affirmation d'une mode qui passera ou formule qui durera ?

Seul, d'un certain âge déjà, je survis, dit-il, coupé de sa famille depuis longtemps, entre aide à domicile, infirmière et tuteur. C'est compliqué, non ?. Entre histoires de famille, revenus microscopiques, maladies chroniques et soins. C'est compliqué, non ? répète-t-il. C'est compliqué, hein ? ■●

En 1982, avec Une voix différente (In a different voice), la philosophe, psychologue clinicienne, universitaire Carol Gilligan est des premières à avoir mis en exergue l'idée que les femmes ont une autre manière de penser la morale que les hommes. Dans Une voix humaine (In a human voice), elle revisite l'éthique du care (caring attitude) : la «voix différente» n'est pas seulement féminine, c'est une voix humaine, tout simplement.

Isabelle Tollu est médecin généraliste à Bourges (Berry), médecin-colonel de l'Armée de l'Air. Dans La Revue du praticien médecine générale, un de ses textes est mis en exergue. Il révèle les ressorts étendus de l'écoute dans la médecine ordinaire et de réelles qualités narratives de la part de la rédactrice.

Quoi de plus évident, de plus quotidien, de plus indispensable à toute relation humaine ordinaire que l'écoute ? Quoi de plus compliqué, de plus impossible ? Quoi de plus essentiel ? Le psychologue Alexandre Lhotellier (1929-) nous livre ses réflexions, ses propositions pour un exercice quotidien de l'écoute. Elles sont le fruit de la sagesse d'un praticien-clinicien réflexif au long cours, et d'un poète aussi, à l'écoute de la vie sous ses multiples aspects. Et si nous l'écoutions ?

 » Ils se comprenaient à demi mot. Même, c'étaient leurs silences qu'ils entendaient le mieux. Entre Volat et Tancogne existait un pacte tacite, aux clauses multiples et délicates, mais de celles qu'un acte officiel ne pourra jamais mentionner. Ils se connaissaient bien l'un l'autre : c'était là, pour des hommes de leur trempe, le meilleur contrat, le plus sûr.

Source : Maurice Genevoix (1890-1980), Raboliot, Grasset, 2013 (1925), page 67

Dans État limite (2024), Nicolas Peduzzi présente le quotidien harassant de Jamal Abdel-Kader, psychiatre, fils d'un chirurgien syrien réfugié en France. Totalement immergé dans son travail à l'hôpital Beaujon (Clichy). Langage fin, précis, élégant, il amène les patients à la lucidité. Humanité à fleur de peau dans une psychiatrie publique à bout de souffle. «Les patients sont vraiment fascinants», dit-il. «Je soigne avec ma folie, reprend-il de Tosquelles. Ça ne veut pas dire que je fais n’importe quoi, ni que je soigne avec mes névroses ! Mais avec ma fantaisie, en faisant confiance à mon imagination, à ce qui échappe aux conditionnements.»

Habiter en oiseau, nous dit Vinciane Despret, c'est ne pas oublier que si la terre gronde et grince, elle chante également, et que les chants d'oiseaux sont en train de disparaître, mais qu'ils s'effaceront d'autant plus si on n'y prête pas attention. Et que périront avec eux de multiples manières d'habiter la terre, des inventions de vie, des compositions, des mélodies, des appropriations délicates, des manières d'être et des importances. Tout ce qui fait des territoires et tout ce que font des territoires animés, rythmés, vécus, aimés. Habités.

Professeure de médecine et docteure en littérature anglaise, Rita Charon a développé un cursus d’humanités médicales à Columbia University (NYC) : « La médecine narrative permet de ''lire dans son patient'' ». L'art et la manière de mettre le récit du patient et l'écoute au cœur de la relation soignant-soigné.

Quand on joue, on devient l’autre. C’est lui qu’on cherche, qu’on laisse entrer en soi. Sur un plateau, la première vertu, c’est l’écoute. Il ne faut pas seulement savoir que l’autre est humain, mais être capable de travailler avec cette connaissance. Merci d'être là, Ariane Mnouchkine. Belle interview, Anne Diatkine.

Profession : serrurière d'âmes en peines, psychologue si vous préférez. Dans Le Monde du 10 juillet, la journaliste d'enquête et de terrain Florence Aubenas va à la rencontre des psychologues ukrainiennes au chevet des civil.e.s traumatisé.e.s par l'agresseur russe.

Abraham Maslow (1908-1970), l'un des pères de la psychologie humaniste, a décrit ce qu'il appela la hiérarchie des besoins (hierarchy of needs) : besoins physiologiques (deficiency-needs), besoins ontiques (being-needs). Il développe ce qu'il dénomme une écoute taoïste dans Être humain, la nature humaine et sa plénitude.

Dans la revue Travailler, le psychiatre-psychanalyste Christophe Dejours, spécialiste en psychodynamique du travail, livre un passionnant article : Le télétravail à l'aune du corps. Le télétravail modifie-t-il la relation entre deux personnes, qui est au coeur des activités de service ? Si oui, comment ? Au bénéfice de qui ?

L'éditeur Albin Michel réédite, heureuse initiative, le journal croisé entre Irvin Yalom (1931-), psychiatre à Stanford, et sa patiente apprentie écrivaine Ginny Elkin. Dispositif thérapeutique inédit ? Rencontre au long cours entre une patiente et son psychiatre ? Journal-roman à deux voix ? Tout cela à la fois. Rare.

Dans son ouvrage Sourire, le sociologue David Le Breton, d'origine mancelle, développe une subtile anthropologie de l'intime : Le sourire est innombrable. Il scande l'écoulement des rencontres de manière propice mais parfois grinçante. Le plus souvent, il est une célébration discrète du lien social, une reconnaissance de l'autre à qui l'on prête un instant un visage ouvert à sa présence.

Tu ne comprends donc pas qu'une phrase, c'est un souffle ? Chaque fois que tu m'interromps, je suis obligée de tout reprendre, depuis le début, parce que je reprends mon souffle, le souffle de ma phrase. Sara (Juliette Binoche) à Jean (Vincent Lindon) dans Avec amour et acharnement, long-métrage de Claire Denis, août 2022.

Avec La ballade des hommes-nuages, Michèle Finck, musicienne, poétesse, spécialiste d'Yves Bonnefoy, professeure de littérature comparée à l'université de Strasbourg, offre un journal-poème intime : souffrir-aimer-écrire. Une entaille dans l'intime. In imo pectore. Au plus profond. Extraits.

La nuit est le lieu des angoisses et de la mémoire térébrante. Nous y sommes parfois piégés, impuissants face aux obsessions vives, incapables de la traverser dans l'inconscience. Claire Marin, Rupture(s), L'Observatoire, 2019. Il nous faut traverser chaque nuit.

Cet homme angoissé appelle en partant au boulot, qu'il a repris récemment après un infarctus puis une dépression. Il a besoin de parler de temps en temps pour surmonter le stress du taf.

Deux millions de personnes âgées souffrent de solitude. 530.000 personnes de plus de 60 ans sont en situation de mort sociale. Quatre ans après leur précédent baromètre social paru en 2017, les Petits frères des pauvres constatent une aggravation alarmante de la situation d’isolement et de grande solitude chez les aînés.

Après le tsunami, le 5 octobre, du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (CIASE), on peine à lire, on souque à ouïr. Quoiqu'il advienne désormais à l'une des institutions qui aura façonné si profondément l'Europe occidentale et la France depuis des siècles, chacun, croyant ou pas, catholique ou agnostique, attend des actes.

Cette phrase éponyme, je l'ai reçue au coeur vers deux heures du matin, après deux heures d'écoute continue, une nuit d'avril où je pratiquais une écoute téléphonique à SOS Amitié. Et je ne parviens pas à m'en défaire. Et pourquoi le ferais-je d'ailleurs tant elle m'a secoué ?