On attend désormais des personnes qu'elles construisent les compétences nécessaires pour s'orienter. Quelles sont ces compétences ? Comment se forment-elles ? Quel rôle tient l'école dans cette formation ? Comment aider les personnes à construire de telles compétences ? Comment les accompagner dans cette activité de s'orienter ? Sur quelles connaissances scientifiques développer des interventions rigoureuses ?

S'appuyant sur les travaux de Hofstede, Elias, Foucault, Clot, Dejours, Palmade, Jean Guichard a montré que dans les sociétés occidentales aujourd'hui, s'orienter est une tâche socialement produite, c'est avoir le souci de soi, du gouvernement de soi (Foucault). Mais pour se gouverner soi-même, l'individu doit disposer des compétences ou des vertus nécessaires. Dans les sociétés occidentales aujourd'hui, l'activité de travail joue un rôle majeur dans la construction identitaire individuelle.

Dès lors, s'orienter c'est avoir le souci de se réaliser par son activité professionnelle. Or, sur ce point, le monde est de plus en plus incertain : les Etats ne font plus de Plans (exit le Commissariat du Plan), du coup pourquoi l'individu devrait-il faire un projet d'orientation ? S'orienter dans un monde incertain, ce n'est plus formuler des projets, c'est être capable de stratégie, de repérer dans une situation les éléments essentiels permettant de définir des objectifs pour soi en fonction des ressources qu'elle offre. Conduite de projets, attitude stratégique, planned happenstance (Mitchell, Levin, Krumboltz, 1999), adaptation et flexibilité.

Pour qu'une conduite stratégique soit possible, il faut que l'individu ait le sens de soi, une activité réflexive sur soi, sur ses activités, sur ses attentes, sur le monde. Bref, un véritable travail de personnalisation (Malrieu). Ceci est d'autant plus indispensable que les sociétés occidentales d'aujourd'hui laissent l'individu autodéterminer ses propres références, ses propres valeurs.

S'orienter, c'est savoir se saisir des opportunités qui se présentent, voire en créer, dans les différents contextes où nous interagissons, en vue d'atteindre ceux des objectifs qui nous semblent alors fondamentaux dans certains de nos contextes de vie, ou de redéfinir ces objectifs primordiaux. La définition et la redéfinition de ces objectifs majeurs constituent elles-mêmes une activité réflexive essentielle.

Dans les organisations de travail "boundaryless", métiers, professions, trajectoires professionnelle sont remis en cause ; on donne pour un temps donné dans un lieu et un contexte donnés à des individus donnés des missions données. Pour y survivre, l'individu doit savoir formaliser ses compétences, repérer les opportunités et savoir placer (comme on place en Bourse) ses compétences.

Pour les plus précaires, c'est gérer le stress, chercher des soutiens, développer des stratégies de coping. Or on observe de grandes différences entre les individus dans leur capacité à s'orienter selon leur origine sociale et culturelle, le genre, les parcours scolaires et de vie. D'un côté les investisseurs de leur capital d'identité, les travailleurs centraux, les insiders, les winners de la compétition mondialisée, de l'autre les loosers, les travailleurs périphériques, les outsiders, en marge.

Dans sa deuxième partie, Jean Guichard a traité du développement des compétences pour s'orienter. Les expériences vécues à l'adolescence et à l'âge de l'adulte émergent sont fondamentales dans la construction de ces compétences. En France tout particulièrement, l'expérience scolaire a un poids essentiel en la matière, et l'architecture des organisations scolaires, les procédures de sélection et de répartition des élèves produisent de fortes différences entre une élite scolaire d'excellence et un nombre important de jeunes en grave échec. En France, la projection dans l'avenir des lycéens prend la forme d'intentions d'études plus que le choix d'une profession. Et l'élève se pose cette question : Qu'est-ce que celui que je suis (du point de vue scolaire) me permet d'espérer ?

Commer aider les jeunes à développer leurs compétences à s'orienter ? Le conférencier distingue 3 catégories d'interventions :

(1) des interventions d'information en orientation professionnelle (et par extension scolaire). Exemples : ateliers d'orientation (NDAPP), portefeuille de compétences ;

(2) des interventions psychopédagogiques en orientation professionnelle (et, par extension, en orientation scolaire) ;

(3) des interventions dialogiques de conseil d'accompagnement à la construction de soi (Tenir conseil, Lhotellier, 2001). Ces entretiens, d'après le professeur Jean Guichard, ne peuvent être conduits que par des professionnels de la psychologie du conseil.

Avec plusieurs collègues européens, l'auteur travaille depuis plusieurs années à la définition du "life designing" : "l'activité de s'orienter ne peut plus se réduire à la construction d'un parcours professionnel, mais elle est un acte continué de conception et de construction de sa vie" qui inclut la construction d'un parcours professionnel, mais ne peut s'y réduire. Un n° récent de la revue L'orientation scolaire et professionnelle est consacré à cette question (n°1/vol.39/Mars 2010).

Jean Guichard, Bernadette Dumora y développent notamment leur conception de l'entretien constructiviste. Ses objectifs : aider le consultant à définir certaines anticipations relatives à son avenir, identifier certaines conduites susceptibles de favoriser la réalisation de ces anticipations, s'engager dans de telles conduites. L'auteur y décrit par le menu des formes identitaires subjectives qui constituent autant de manières d'être, d'agir et d'interagir en lien avec une certaine représentation de soi, une certaine conception de soi, un certain rôle social, des schémas d'actions et d'interactions dans ce rôle.

L'entretien de conseil en orientation constructiviste vise à aider les consultants à identifier ces formes identitaires subjectives correspondant à des anticipations majeures pour eux, à s'engager dans des activités favorisant la réalisation de telles anticipations. Jean Guichard précise qu'il s'agit d'une forme d'accompagnement en orientation "coûteuse et ambitieuse" et qu'elle a une "visée émancipatrice". En conclusion, d'après l'auteur, le système éducatif français ne favorise pas, pour le moment, de telles compétences pourtant fondamentales à développer. Au contraire. On ne forme pas assez les professionnels chargés des trois niveaux d'interventions : l'information, l'approche psychopédagogique, le conseil (ce dernier niveau ne pouvant être effectué que par des psychologues).

Jean Guichard nous a aimablement autorisés à mettre à disposition de l'internaute le diaporama par lui présenté au Mans le 22 septembre 2010 (cf. annexe). Qu'il en soit vivement remercié. Il a participé également le 23 septembre 2010 au Mans au forum ''Regards européens sur le conseil.''

Annexes

Diaporama présenté par Jean Guichard le 22 septembre 2010 en conférence inaugurale

Le texte intégral de la conférence de Jean Guichard a été publié dans la revue Questions d'orientation n°4, décembre 2010, pages 13-40

Ce billet a été modifié le 31 décembre 2020