Comment, à plus de 95 ans, un tel humaniste, homme de Lettres, polytechnicien (1938), poète, ingénieur en chef des manufactures de l'Etat, parlementaire (1947-1952), professeur de littérature, philosophie et psychologie, formateur de formateurs, éminent pédagogue, consultant international peut-il encore, et avec quel brio, tenir une conférence de 2h30 sans avoir l'air, un seul instant, de peiner ou de devoir reprendre son souffle ?

D'où peut-on tenir une telle énergie, une telle puissance poétique, une telle fulgurante intelligence, une telle écriture, une telle force de communiquer à l'oral quand on est presque centenaire ?

L'éternel refuznik de tout cloisonnement, de tout repli sur soi, le passeur, l'émerveilleur a parlé de lui, toujours avec l'humour indéfectible qu'on lui connaît. Propos glanés dans le bonheur d'une après-midi nantaise ensoleillée d'une telle présence. "L'espérance est un défaut d'espièglerie". "J'ai décidé d'être non unique, mais pluriel".

Et André de Peretti s'est dévoilé sur ses années fondatrices d'enfance et d'adolescence : prime enfance familiale heureuse à Rabat, traumatisme du divorce de ses parents, séparation d'avec sa mère et départ à Bordeaux d'abord puis à Abbeville, soif de justice sociale, décision de ne pas jamais céder au romantisme du pessimisme, polytechnicien, puis la Guerre et la captivité (1940-1945) qui le fit rencontrer nombre d'intellectuels dans les six oflags où il fut affecté successivement.

On connaît André De Peretti pour son rapport sur la formation des enseignants (1982) dont accouchèrent les MAFPEN et les IUFM, on se souvient de ses ouvrages Pour une école plurielle (Larousse, 1987), Organiser des formations (Hachette éducation, 1991) et Techniques pour communiquer (Hachette éducation). Mais sait-on que, co-fondateur et militant actif de l'association France-Maghreb (fin des années 50), il est de ceux auxquels on doit la décolonisation pacifique du Maroc ?

Sait-on qu'on lui doit aussi, ainsi qu'à quelques autres (Max Pagès, Jacques Ardoino, Alexandre Lhotelier notamment) , la connaissance et la diffusion de la pensée et des oeuvres de Carl Rogers en France ? Et qu'il milita toute sa vie contre le caractère bureaucratique de l'administration : qui se souvient de ce savoureux Mini-guide de l'ad-mini-stration (1990) ? Sait-on qu'il côtoya Gabriel Marcel, Louis Massignon, Max Pagès, Carl Rogers, Etienne Gilson, Georges Delerue, Paul Claudel, Julien Benda... et tant d'autres !

Parmi les propos entendus lors de cette conférence exceptionnelle : "Il faut que l'enseignement soit responsabilisant" ; "L'éducation est trop élitique, élitaire" ; "On doit d'urgence assouplir et diversifier les emplois du temps hebdomadaires des élèves, qui ne changent jamais du 1er septembre au 30 juin " ; "Chaque être humain est fondamentalement différent des autres" ; "La bonne manière d'enseigner, c'est d'avoir une variété de disponibilités, de dispositions, d'organisations dans la classe" ; "Chaque élève a un potentiel à découvrir" ; "Nous ne faisons pas bien notre travail sur la question cruciale de l'orientation, et les conseillers d'orientation ne sont pas plus nombreux aujourd'hui qu'il y a 30 ans, alors que les problèmes d'orientation ont été quantitativement et qualitativement décuplés"...

Nous avions eu la chance de découvrir André De Peretti formateur lorqu'en 1991, il avait animé dans l'académie de Nantes un stage conjoint des directeurs de CIO et inspecteurs en orientation sur le thème du projet personnel de l'élève et du projet de CIO. Nous l'avions invité à nouveau au Mans-Rouillon en juin 1993 : cf. actes en annexe. Ce dernier texte n'a pas vieilli d'une miette. Dix-huit ans après, le 31 mars 2010, nous avons organisé au Mans une deuxième journée d'études sur le thème "Diversifier en classe entière au collège : pourquoi ? comment ?" avec François Müller, Michel Breut et Jean-Michel Zakhartchouk, qui reste comme une invite à poursuivre et accentuer le chemin vers la diversité et la différenciation des pratiques pédagogiques.

Après un tel message de vie et d'idéaux, comment renoncer à lutter pour un monde éducatif meilleur ?