Jusqu'alors, la profession avait acquis une légitimité réelle par la qualité des formations dispensées par les Instituts de formation (INETOP Paris, Lille, Strasbourg, Caen, Aix-en-Provence, Lyon), par les textes (ONISEP 1970, CIO 1971, nouvelles procédures d'orientation 1973, IIO 1971-1973), par la psychotechnie, par les pairs (l'ACOF faisait partie de la SFP), par les parents enfin.

La question posée aux conseillers d'orientation à travers la loi sur le titre de psychologue (1985) pouvait se résumer ainsi : comment rester psychologue (et non : comment le devenir, car on l'était déjà, dans les pratiques), comment continuer de l'être, comment, grâce à la loi, relégitimer ou renforcer la légitimation du conseiller d'orientation ?

On effectua alors un recentrage sur la profession, sur la discipline-coeur, la psychologie, et on s'interrogea sur ce que deviendrait l'information, la pédagogie. Ce fut aussi un nouveau re-départ, l'opportunité d'une valorisation de la profession ; elle gagnerait ainsi, croyait-on, en visibilité (cf. Le transfert des acquis, rapport Ballion, 1987) et en valorisation.

Dans les congrès de l'ACOF de Quimper (1984), Poitiers (1985) et Aix (1986), la position de l'association campa sur trois positions : un corps unique de psychologues à l'éducation nationale, une formation correspondante, une discipline spécifique.

En préférant l'acception "conseiller d'orientation-psychologue" à celle de "psychologue conseiller d'orientation", on a voulu préserver l'histoire de la profession. L'obtention du titre de psychologue apportait des garanties renforcées aux familles d'être reçues et écoutées, tout ceci est contemporain de la loi Jospin de 1989 qui institue le droit des familles et des élèves à l'orientation. De 1985 à 1991, l'ACOF a lutté, avec les syndicats, pour l'obtention du titre et de la formation ; ce fut une attente très longue.

Ce qui arriva en 1991 fut un moment important de l'histoire de la profession, un moment de relégitimation. Au fond, résume Jacques Giust, "le meilleur moyen que l'on avait trouvé pour continuer à faire le métier qu'on avait choisi était d'avoir le titre de psychologue, afin d'éviter que d'autres psychologues ne s'immiscent et que, pour les conseillers d'orientation qui n'auraient pas obtenu le titre, certains actes ne leur fussent interdits".

La baisse du statut de l'orientation au ministère de l'éducation nationale

Spécialiste de droit public, ancien directeur des lycées et collèges au ministère de l'éducation nationale, André Legrand a expliqué que sa direction avait eu assez peu à faire avec le passage au statut de psychologue. Fin des années 80, la grande affaire est d'anticiper les conséquences qu'aurait l'adoption (Loi Jospin, 1989) du 80% d'une génération niveau Bac... en la quasi-absence du Bac pro (créé à dose homéopathique en 1985).

La fin des années 80 et le début des années 90 virent la baisse du statut de l'orientation au ministère : d'abord "service", elle est devenue "sous-direction" puis "bureau". Parallèlement, on connut le temps d'inspecteurs généraux orientation : Begarra, Caroff, Sénécat, Denquin. A l'inspection générale de l'éducation nationale, l'orientation est désormais noyée dans le très large champ "administration et vie scolaire".

On doit à André Legrand cette formule si avisée : « Une fonction dont on a honte, on ne l’exerce pas soi-même ; on la confie à un corps spécialisé. Les enseignants n’ont pas de vraie conscience qu’ils orientent. C’est pour eux l’affaire des services d’orientation . Sur ces services d’orientation courent d’ailleurs les bruits les plus divers. Selon l’opinion commune, ils n’en feraient qu’à leur tête . Au contraire, ils ont loyalement plié l’exercice de leur fonction aux évolutions des politiques ministérielles ». André Legrand (1994), Le système E, Denoël, pages 59-60. L’auteur a été recteur d’académie, directeur des lycées et collèges, président d’université, président de la conférence des présidents d’université.

Pour le SNES, une question éminemment politique

Pour Catherine Remermier, secrétaire nationale de la branche orientation du SNES au moment du passage au statut de psychologue, promouvoir un conseiller peu ou prou psychologue était une question d'abord politique : la formation des jeunes générations doit-elle soumise aux besoins économiques ? Le développement de la personne est-il premier en orientation ? Et qui doit s'en occuper ? Elle a indiqué que "les conseillers n'avaient pas rencontré la psychologie en 1991 mais en 1968" (cf. discours de Reuchlin à la Société française de psychologie).

Elle a rappelé les moments-clés de la lutte syndicale pour l'obtention du poste : assises de la psychologie de l'éducation (1985), états généraux de la psychologie (1989), lettre ouverte au ministre Jospin (1989), congrès ACOF à la Sorbonne (1989), journée de mobilisation du 26 mai 1990 en présence des 2/3 de la profession, inscription du DECOP sur la liste des diplômes donnant droit au titre de psychologue.

"Vous me dites ce que vous voulez, mais je veux que les parents voient la différence (Michel Rocard)"

Historien du 20ème siècle et de l'éducation, Antoine Prost occupait à cette époque le poste de conseiller spécial du Premier ministre. Il eut à gérer un manque de communication entre les ministères de la santé et de l'éducation nationale qui retarda le processus. Lui-même était à l'époque partagé sur la délivrance du titre aux conseillers.

La légitime revendication indiciaire des conseillers d'orientation était en effet une revendication nominale symbolique qui n'impliquait pas un redéfinition du métier ; en outre, il avait une haute estime de la qualité de formations psychologiques dispensées à l'INETOP ; ajouter "-psychologue" aurait ajouté la fonction "counseling" qui aurait pu "charger la barque" du conseiller ; enfin, le risque de fuite de certains conseillers vers l'exercice de la psychologie en secteur libéral apparaissait non négligeable à l'époque.

Le cabinet du Premier ministre Rocard trancha donc pour le titre de psychologue sans grande conviction. Ndlr : On peut se demander pourquoi, dans les années 80, la profession n'a pas lutté avec autant de force et de persévérance pour l'obtention d'un statut pour les CIO qu'elle ne le fit pour celle du titre de psychologue pour les conseillers.

Orientation et développement de la personne

Est-il possible d'introduire la question du développement de la personne dans la recherche, la pratique, les usages ? C'est la question que posa Pierre Tap, professeur d'université émérite en psychologie à l'université de Toulouse-Le Mirail, qui occupait, à cette époque, la présidence de la Société française de psychologie. Dès 1971, l'ACOF et la SFP avaient discuté, déjà...

Mais en 1989, la SFP ne participa pas aux négociations. Constamment les aspects psychologiques sont liés aux aspects sociaux et relatifs à l'orientation. L'identité des sujets est d'abord narrative, l'art de (se) raconter de belles histoires d'orientation. "Dans le déni actuel d'humanité dans lequel nous vivons (cf. Les raisons de la colère, Gaulejac 2011), il faut rétablir la fraternité, le Bisounours, l'empathie. Faut-il davantage marquer les différences ou approfondir les identités ?"

Y a-t-il une voie entre orientation et ''care'' ? Le tenir-prise va avec la déprise (lorsque je cherche à tenir prise, mais que je me trouve en position d'aliénation, je peux dire : "je refuse", et c'est la déprise). Reprendre pied, retrouver estime de soi et s'ouvrir à l'autre. Mais quel accompagnement des personnes dans ce cas ? Seulement un "coussin compassionnel" ? (cf. Clot)