Jeanne ou la quête de la mère
Par Jacques Vauloup le lundi 4 juillet 2011, 15:40 - Ex libris - Lien permanent
Universitaire et helléniste de renommée internationale, sociétaire de l'Académie française, défenseure des Belles Lettres et, derrière les Lettres classiques, d'une exigence de tous les instants dans l'enseignement des nouvelles générations, Jacqueline de Romilly (1913-2010) aura caché un livre secret sur sa mère Jeanne, écrit en 1977. Elle l'avait confié à son éditeur et ami Bernard de Fallois en 1977, qui l'a publié fin 2010 à la mort de l'auteure et sur ses instructions. Une mère adorée.
Livre autobiographique dense et émouvant. "Jeanne au bracelet d'argent",ainsi dénommée affectueusement par sa fille Jacqueline, se révèle, campée par elle, une mère aimante, brillante, jusqu'au bout soucieuse du bien-être physique et surtout intellectuel de sa fille, et ce, malgré les aléas d'une vie qui ne l'aura pas épargnée.
Beaucoup de pudeur, d'admiration et d'amour filial dans cet ouvrage. Sa mère, la journaliste, romancière et dramaturge Jeanne Malvoisin, fut une femme aux multiples dons sans pour autant connaître le succès qu'elle eut mérité.
Extraits
Je suis sa fille, la fille de Jeanne au bracelet d'argent, ou plutôt de celle qui avait été Jeanne au bracelet d'argent. J'en suis donc réduite à l'imaginer, à partir de tout ce que j'ai su d'elle plus tard. J'ai aussi l'aide de ses photographies ; et beaucoup de photographies sont moins passées que nos souvenirs. Les photographies ne sont jamais prises dans des circonstances normales. Il s'agit de fêtes, de rencontres, de voyages. Mais sur toutes - à moins que ma connaissance de la suite ne me trompe - il me semble reconnaître, lié au charme et à la grâce, ce quelque chose d'irréductible, qui la distinguait entre toutes
(page 9).
Je ne vais pas, je ne peux pas, parler de la mort de Jeanne. C'est affaire entre elle et moi. Il y a pourtant deux moments dont il faut bien fixer le souvenir, parce qu'ils sont comme le sceau de tout ce qui précéda et que leur noblesse donne son sens à l'ensemble. C'est d'abord ce regard que nous avons échangé le dernier soir. Un regard d'une tendresse si parfaite et si pure qu'elle était déjà presque désincarnée - un regard que l'intensité rendait poignant, mais où ne se sentait aucune anxiété. Et il y eut en dernier ce sourire plein de jubilation - comme si lui était apparue, à peine croyable, la récompense de tant de peines. Le sens de ce sourire ? Je ne sais pas. Je l'ai vu ; et, depuis, je vis de ce souvenir
(page 244).
Combien d'enfants ne doivent-ils pas ce qu'ils sont devenus à leur mère ?