Certains intellectuels éthérés et condescendants vont même comparer les hordes de spectateurs massés au bord des routes pendant trois semaines à des troupeaux de bovidés ruminants. Est-ce bien respectueux pour les bovidés ? Avant de les juger avec hauteur, les a-t-on suffisamment observés ces petits et grands humains, tellement humains, de tous âges, de toutes conditions, de tous milieux, de toutes les nationalités ? Hommes et femmes réunis.

Sait-on que, de l'entrée de Bourg d'Oisans à l'arrivée à l'Alpe d'Huez lors de l'étape du vendredi 22 juillet 2011, une foule ininterrompue accompagnait les cyclistes sur plus de 20 kilomètres ? Sait-on que des touristes français, espagnols, norvégiens, anglais, belges, néerlandais, italiens, américains ou australiens choisissent leurs lieux de vacances en fonction du parcours du Tour de France ?

Pourquoi oublie-t-on d'un revers de manche que le Tour de France fait plus pour la promotion des paysages et du patrimoine français, et donc de la balance commerciale du pays, que bien des campagnes de publicité ?Mais l'essentiel n'est pas là. Au-delà des scandales de l'EPO et des cyclistes survitaminés, il y a le mythe encore actif des ''forçats de la route'' si magniquement décrits par Albert Londres, les Pélissier, Coppi, Bartali, Koblet, Kubler, Gaul, Bobet, Anquetil, Poulidor, le baron Edouard Louis Joseph Mercks, l'aigle de Tolède Bahamontes, Gimondi, Hinault, Fignon...

Et puis, derrière chaque spectateur, derrière chacun des téléspectateurs, il y a un cycliste qui s'ignore, ou se revendique : randonneur du dimanche, cyclotouriste au long cours, VTTiste confirmé ou occasionnel, cycliste ordinaire de chaque jour, amateur des Vélib en ville, triathlète ou futur licencié du club local... La plupart d'entre eux connaissent la difficulté d'avaler des kilomètres face au vent et sous la pluie, de reprendre son vélo le lendemain d'une longue sortie et que les jambes restent raides comme des échasses. Ils ont éprouvé la fringale qui vous prive de toutes vos forces en quelques instants. Ils se souviennent de chutes mémorables qui, loin de décourager les mordus, les encouragent à se remettre en selle. Sauf dans les cas les plus graves bien sûr.

Et si le Tour était tout simplement un tour d'enfance plus qu'un tour d'en France ? Et si le Tour était d'abord un tour de soi et des autres ? Et si le Tour était l'occasion pour chacun de se mesurer à ses propres limites, et à son propre dépassement ? Eric Fottorino, ancien cycliste amateur, ancien directeur du Monde, l'a exprimé ainsi : "Qu'on soit champion ou non, il s'agit de se dépasser, d'aller plus loin que soi. Pédaler pour arrondir les angles de l'existence, c'est une activité que je conseille. Elle permet de (re)partir dans la vie d'un bon pied. Tête baissée mais tête haute, tête en l'air, tête joyeuse. Le vélo est une fête qui dure toute la vie. Comme la lecture. Comme l'écriture". C'est décidé, demain, je pars.