Il faut reconnaître qu'avec les adolescents, on ne cesse de prôner et de présenter la première comme une voie obligée ("Passe ton Bac avec mention pour avoir une bonne prépa qui elle-même te conduira tout droit à une bonne école d'ingénieurs") et qu'entre adultes on vante à cor et à cris les mérites et la réalité de la seconde ("A 14 ans, je ne faisais rien à l'école, cela ne m'a pas empêché de devenir chef d'entreprise artisanale avec 12 employés"... ou encore : "J'ai 40 ans, j'ai commencé par un apprentissage en boulangerie et un CAP ; maintenant, je prépare un Master pro de droit international pour travailler dans l'import-export"). La vie se charge de poser bien des aléas à tout sujet orienté ici ou là à la fin de l'école.

Et l'école s'est tellement trompée quant à ses pronoctics de réussite ou d'échec pour tel ou tel élève qu'elle devrait manier avec beaucoup plus de précaution qu'elle ne le fait souvent la machine à classer, à juger et à centrifuger qui la caractérise. Dépasser le binaire linéaire vs atypique par une orientation libre, une orientation-mosaïque, car tout être humain, et notamment quand il est jeune, est riche de tant de potentiels, de tant de possibles souvent inexploités qui, parfois, plus tard, ressurgissent. Bien plus qu'elle ne se trouve sous les sabots d'un cheval ou dans la hotte du père Noël, l'orientation ''se crée'' .

Orientation juvénile vs orientation adulte. L'école oblige des adolescents centrés sur leur adolescence, et sur les changements psycho-physiologiques et sociaux majeurs qui la caractérisent, à se projeter dans des possibles, dans des projections de Qu__est-ce_tu_voudrais_faire_plus_tard243.jpgsoi à moyen-long terme réitérées. Réfléchissons à ce qu'un adulte répondrait au questionnement appuyé et réitéré d'un enfant ou adolescent qui l'interrogerait ainsi : "Comment ? Tu ne m'as pas encore dit ce que tu voulais faire dans 3 ans, dans 5 ans, dans 10 ans ? Je te rappelle que tu as huit jours pour me rendre par écrit tes voeux". Que demande-t-on ainsi à ces êtres non sortis de l'enfance ? Tout simplement à nous dire comment ils souhaitent orienter leur vie, comment ils imaginent s'orienter dans le vie. Après cela, étonnons-nous qu'ils nous répondent "je ne sais pas ce que je veux faire plus tard", qu'ils diffèrent leur réponse ou qu'ils finissent par répondre quelque chose qui ne leur convient pas vraiment et qu'ils s'inscrivent l'année suivante là où il y a de la place. Dépasser le binaire orientation juvénile vs adulte par une orientation juvénile conçue comme une première orientation qui sera suivie de beaucoup d'autres orientations à l'âge adulte, d'autoformation, d'éducation permanente tout au long de la vie.

Orientation des filles vs orientation des garçons. Les filles réussissent mieux (beaucoup mieux) que les garçons à l'école, et moins (beaucoup moins) au travail dans leurs carrières professionnelles. Cherchez l'erreur ! Avons-nous bien mesuré que près de 10% séparent garçons et filles à l'issue de la 3ème dans l'orientation vers la seconde générale et technologique ? Pourquoi peinons-nous, hors la filière S plutôt paritaire, à véritablement mixer les spécialités au lycée général, technologique ou professionnel, certaines étant masculines, d'autres féminines ? Pourquoi 60 à 70% des apprentis et autant de lycéens professionnels sont-ils des garçons ? C'est que les entreprises, le travail ne réussissent pas à vendre les mérites de l'artisan-maçon aux jeunes femmes ou ceux du professeur des écoles maternelles aux garçons. C'est aussi que les tâches ménagères et familiales pèsent aujourd'hui encore en France sur les femmes et que cette charge impacte durement leur carrière professionnelle. C'est enfin que l'école, et à l'école le travail en orientation, sont frileux dans leur mise en question de ce phénomène de discrimination. Dépasser le binaire orientation des filles vs orientation des garçons par une orientation véritablement ouverte pour chacune et chacun, ce qui n'est pas le cas actuellement, y compris pour les garçons !

Orientation des villes vs orientation des champs. D'après le CEREQ, qui s'appuie sur une étude d'ampleur conduite en Basse-Normandie, et que corroborent les travaux d'Yves Alpe et de Pierre Champollion de leur Observatoire de l'école rurale, les jeunes ruraux sont soumis à une véritable course d'orientation : ambitions scolaires plus réduites, études moins longues, préférence marquée pour le professionnel dès la prime adolescence. Un environnement socio-économique et culturel moins riche qu'en secteur urbain, la faiblesse et le caractère diffus de l'offre de formation en seraient les causes. A milieux socio-économiques et socio-professionnels équivalents, on minore ses ambitions scolaires à la campagne, on les majore en ville. Dépasser le binaire orientation des villes vs orientation des champs par une véritable prise en compte différenciée de la spécifité rurale, qui creuse son handicap dans l'indifférence générale ; c'est le moment où la nécessité de CIO à forte implantation rurale se fera à nouveau sentir. Il est temps. Et là aussi, l'impensé est total, ou presque.

Orientation de ceux d'ici vs de ceux d'ailleurs. Si l'orientation ne promet aux exclus que l'exclusion et aux inclus que l'inclusion, si elle creuse l'écart entre les ''winners'' et les ''loosers,'' si elle monte aux pinacles les insiders et foule aux pieds les ''outsiders'', si elle choisit de répondre d'abord aux sollicitations de plus en plus consuméristes et distinctives des happy few qui sauront toujours utiliser les "Parcours de découverte des métiers et des formations" pour faire faire à leurs enfants des stages de riches et capter l'attention des professeurs principaux et des conseillers d'orientation-psychologues à leur usage privatif, si cette orientation laisse à leur triste sort les stages et les orientations de pauvres aux plus pauvres, si elle vante tant les métiers manuels aux parents précaires et les métiers intellectuels ou plus culturels aux nantis (on peut aussi s'interroger sur le simplisme inane de la binarité métiers manuels vs métiers intellectuels), est-elle encore compatible avec les valeurs de la démocratie, de l'humanisme, des Droits de l'Homme et des Droits de l'enfant (1989)  ? Dépasser le binaire orientation de ceux d'ici vs orientation de ceux d'ailleurs par une orientation véritablement compensatrice pour les plus démunis. Et relire Sartre à la fin des Mots (1964) : "Tout un homme, fait de tous les hommes, et qui les vaut tous, et que vaut n'importe qui".

On peut aller de Lorient à l'Orient mais aussi de l'Orient à Lorient.

Et si l'orientation était un voyage au long cours ?