Au XVIIè siècle, dans sa fable Le paysan du Danube, prolongeant Marc-Aurèle, Jean de La Fontaine réhabilita l'image du paysan en brossant le rustaud, plutôt "ours mal léché, nez tortu, grosses lèvres", qui va interpeller et décontenancer l'occupant romain par sa franchise directe : "Qu'on me die(dise) en quoi vous valez mieux que cent peuples divers. Quel droit vous a rendus maîtres de l'univers ? Pourquoi venir troubler une innocente vie ? Nous cultivions en paix d'heureux champs, et nos mains étaient propres aux arts ainsi qu'au labourage". Et La Fontaine en fait la morale de la fable : "Il ne faut point juger des gens sur l'apparence".

Paul paysan dans les pas du père

Comment dire mieux que Paul Bedel, paysan de La Hague à deux pas du raz Blanchard, héros du film ''Paul dans sa vie'', cet hommage à la vie simple, paisible, poème à la terre et aux éléments, gagne-petit de la campagne finis-térienne et maritime du Cotentin, mais grand homme sage que Didier Decoin son voisin et Catherine Ecole-Boivin ont su écouter : "''Sa vie est un grand charabia de don aux autres et à la terre. Dans ses nuits, le travail n'arrête pas, il écoute le raz et se lève parfois pour "voir le temps", pour l'écouter dans un demi-sommeil. Il sait alors où il va trouver les bêtes dans les champs : à l'abri loin de l'entrée s'il pleut ou s'il fait tempête, près de la barrière s'il fait beau.

Naturellement, au mot "loisir", il pense peu, il donne tout au travail des champs, "ça fait les os". Selon lui, le travail ne tue pas, c'est différent de quelqu'un de la ville. Paul plaint les travailleurs d'usine, à la chaîne, enfermés dans la mine, qui n'ont pas la liberté de vie, ils semblent stressés, avoir un patron sur le dos autre que sa patronne nature l'aurait bien embêté. Il est ennuyé par le temps, les vaches, mais Paul est un homme libre".''

Écoutons encore Paul Bedel dans son livre testament : "Avant je souffrais de solitude, les jeunes partaient tous et je me disais que j'allais vieillir seul, sans même apprendre à personne mon métier. J'allais "avoir servi à rien", ma vie n'allait avoir servi à rien. Depuis lors, des lycées agricoles viennent me visiter. Dès que le car arrive, j'entends le troupeau de jeunesse, ça me donne un plaisir fou. Ca discute dur parfois avec certains : "Alors, Paul, vous donniez du maïs à vos vaches ?" Je réponds : "Mais bon sang, les vaches, ça mange de l'herbe, leurs estomacs sont faits pour l'herbe comme celui des veaux est fait pour le lait de vache". Un jeune continue : "Oui mais, sans maïs, alors vous aviez moins de lait". Je réponds : "Moins de lait, peut-être, mais mon beurre, mon petiot, il avait le goût du goût, on n'avait pas besoin de "nettoyer" le lait pour enlever le goût du silo et du lisier !"

Bernard agriculteur, éleveur, exploitant agricole

Paysan de l'Ouest lui aussi, fils cadet d'un père retraité lui-même ex-agriculteur-éleveur, Bernard exploite plus d'une centaine d'hectares de terres à l'autre bout de cette Normandie qui l'a vu naître et aux confins d'une Île-de-France friande de résidences secondaires rurales aux portes de Paris. Installé en GAEC avec son frère aîné, il allie la culture céréalière à l'élevage laitier. Les épouses des deux frères ne sont pas agricultrices.

Tous les deux, ils sont soucieux de préserver la nature et la terre qu'ils entretiennent depuis plusieurs générations en y déversant le moins de substances nocives qu'il est possible d'utiliser pour préserver une agriculture raisonnable et raisonnée. Récemment, l'entreprise-exploitation agricole vient de se doter d'un robot de traite qui permettra à terme une meilleure rentabilité de la partie élevage de l'exploitation ainsi qu'un allègement des astreintes horaires quotidiennes nécessitées par la traite des vaches.

En 1945, la population active agricole française comptait 10 millions de Françaises et de Français, soit près de 35% de la population active totale. C'était 50% en 1900. En 2010, la population active agricole française comptait 770.000 personnes, soit 3,3% de la population active totale (5,3% dans l'Union européenne).

Ce billet est dédié à Paul et à Bernard bien sûr. Mais aussi à nos ancêtres paysans-agriculteurs Pierre et Clotilde, Marcel et Madeleine, Camille et Isabelle, à Maurice ; à Pierre et Michel ; à Marie ; à Raymond et Camille. Il est aussi dédié aux jeunes générations qui, comme celle de Bernard ou celle des lycées agricoles, habitent le pays, le respectent et le feront vivre demain, en nourrissant et accueillant les humains urbains ou rurbains. Après la Fin des paysans, de quels agriculteurs la France a-t-elle encore faim ?

Ce mot a été modifié le 31 mai 2021

Pour aller plus loin

Moriceau J.-M. (2018), La mémoire des croquants, Chronique de la France des campagnes 1435-1652, Tallandier

Moriceau J.-M. (2020), La mémoire des paysans, Chronique de la France des campagnes 1653-1788, Tallandier