Gérard Mauger (1994, 2009), Olivier Galland, Eric Maurin (2004, 2009), François Dubet, l'Observatoire des inégalités, le Centre d'étude et de recherche sur les enseignements et les qualifications (CEREQ) ont montré à maintes reprises le sort peu enviable dévolu à la jeunesse française lors de son entrée dans la vie professionnelle.

Une jeunesse en panne d'avenir.__ En juin 2009, au colloque international de Cerisy-la-salle, Christian Baudelot évoquait "une jeunesse en panne d'avenir" par ces mots : "La jeunesse en France est particulièrement maltraitée. La montée du suicide dans cette classe d’âge depuis le milieu des années 1970 en est une preuve parmi d'autres: le suicide des jeunes augmente, celui des personnes âgées diminue. Les deux phénomènes surviennent au même moment ; ils sont étroitement liés aux transformations de la conjoncture économique et sociale. Frappée de plein fouet par le ralentissement de la croissance consécutif aux chocs pétroliers des années 1970, la jeunesse a fait les frais de la nouvelle donne économique. Elle a payé le plus lourd tribut aux mutations profondes du marché du travail : chômage, précarité, petits boulots, intensification du travail, flexibilité, le tout sur un fond d’insécurité sociale et professionnelle.

Au point que certains ont pu affirmer sans être vraiment démentis par les faits qu’en expérimentant les nouvelles formes d’emploi, la jeunesse avait servi de variable d’ajustement au nouveau contexte économique et social. Longtemps protégés par leurs diplômes du chômage et de l’insécurité, les étudiants avancés n’échappaient plus à la spirale du déclassement. La période s’étendant entre la fin des études et l’installation dans un emploi stable s’allonge inexorablement, au prix d’incertitudes et de frustrations. Les salaires d’embauche sont bas et l’écart se creuse avec les générations précédentes. Le contexte économique et social dans lequel s’inscrivent les jeunes aujourd’hui engendre alors énormément d’incertitude. Contrairement aux générations précédentes qui, portées par la croissance, pouvaient rationnellement former des projets de carrière, de famille, de résidence, et surtout d’ascension, la jeunesse d’aujourd’hui est en panne d’avenir. Non seulement la promotion est de plus en plus difficile, mais la reproduction même devient interdite. En installant le chômage des jeunes comme une tendance de fond de l’économie française, le ralentissement de la croissance entraîne une reconversion brutale et la baisse des stratégies familiales."

Une jeunesse, des jeunesses. "La jeunesse n'est qu'un mot". Il y a plusieurs jeunesses, comme il y a plusieurs vieillesses, plusieurs conditions féminines, des ouvriers différents, des agricultures disparates, des expériences sociales déterminées et redéfinies par des conditions et des contextes singuliers. L'observatoire des inégalités, le CEREQ dans son exceptionnelle enquête Génération ne cessent de nous alerter sur le creusement des écarts entre la génération précaire et la génération pré carré. Comment les caractériser ? Génération précaire (a) : « Maman, pourquoi on ne peut jamais partir en vacances ? ». Echec scolaire. Redoublement(s). Pas d’aide en cas de problème. Evaluations scolaires stigmatisantes. Parents précarisés, fragilisés. Faible croyance en la valeur promotionnelle de l’école. Ecole perçue comme un monde distant, éloigné. Ecole = contrainte. Stages de pauvres. Orientation précoce. Absentéisme, décrochage, abandon. Orientation subie. Insertion marathon, insertion galère, pas de réseaux parentaux utiles pour s'insérer. Génération pré carré (b) : « Papa, après notre croisière de juillet, on irait bien passer 15 jours dans notre chalet en montagne ? ». Réussite scolaire comme investissement pour la réussite sociale et économique. Redoublement interdit. « Avance » scolaire. Recours fréquent aux cours particuliers. Evaluations scolaires valorisantes. Parents placés, sécurisés. Très forte croyance en la valeur promotionnelle de l’école. Connivence avec les us, usages, rituels et avec tout l'implicite de l'école. Ecole plaisir. Stages de riches. Orientation tardive, repoussée après un Bac scientifique obligatoire et une classe préparatoire aux "grandes écoles". Pas d’absentéisme, décrochage rarissime. Orientation choisie. Insertion facilitée par un réseau parental efficace et activable en permanence.

Que peut l'école ? Dodécalogue des actions de l’école. D'abord se dire que si l'école ne peut pas tout, elle peut beaucoup. Par exemple : (1) Ne plus transiger comme on l'a tant fait sur l’indispensable mixité sociale des établissements scolaires publics. Et l'imposer aussi aux établissements privés sous contrat qui tirent l'essentiel de leurs revenus du contribuable. La vie réelle est plurielle, l'école aussi doit l'être, comme la démocratie. (2) Moyens accordés aux établissements : donner vraiment plus à ceux qui ont vraiment moins. (3) Ne pas transiger sur la qualité des contenus enseignés, le socle de connaissances et de compétences(c). (4) Mettre en place le droit de l’élève à bénéficier d’une aide individualisée à l’école et parallèlement le droit de bénéficier, à l'école, d'une pédagogie collective coopérative, variée, diversifiée. (5) Instaurer un droit permanent pour l’élève de participer à son conseil de classe. (6) Interdiction d’humilier tout élève, promouvoir systématiquement le respect des personnes. (7) Réduire au minimum le redoublement, utiliser les moyens ainsi récupérés pour les démunis. (8) Instaurer un droit à la réorientation sans conséquences et sans frais (dès la rentrée scolaire, au bout d’un mois, d’un trimestre, d’un an) (d). (9) Accélérer la formation des professeurs au dialogue, notamment au dialogue interculturel. (10) Transformer l'équation "aux pauvres des stages de pauvres, aux riches des stages de riches" par "aux pauvres des stages de riches, aux riches des stages de pauvres". Elargir le champ des stages au champ de l'économie sociale (associations, coopératives, mutuelles, etc.) et ne pas les limiter à un stage en entreprise ; rémunérer tous les stages en entreprise, même symboliquement pour les plus courts d'entre eux, dès lors qu'un travail a été fourni, validé et remis à l'entreprise. (11). Instituer une école des parents dans chaque école, dans chaque collège, incluant la question de l'orientation. (12) Inventer l'orientation réversible, réconciliable, révisable, réajustable, réorientable, récursive, réconfortante, rééquilibrante, réfléchie, réflexive, rémissible, réjouissante, réformable, réfutable, rehaussable, réinventée, réenchantée, réinvestie, réitérable, recomposable, régénératrice, reconstituante, reconsidérante, reconnaissante. Bref, un concerto en Ré... majeur.

Et faire confiance à la jeunesse.

Tout simplement.

Chiche !

Notes. (a) Précaire. Lat. precarius, obtenu par prière, precari, demander en priant. Qui ne s’exerce que grâce à une concession, à une permission toujours révocable par celui qui l’a accordée. Dont on ne peut garantir la durée, la solidité, la stabilité ; qui, à chaque instant, peut être remis en cause. Syn. Fragile, passager, périssable, instable, incertain, éphémère, faible. Sources : Trésor informatisé de la langue française ; dictionnaire des synonymes, laboratoire de linguistique, université de Caen. (b) Pré carré. Hist. Désignation du royaume de France par Vauban qui voulait simplifier le tracé de ses frontières. Fig. Domaine réservé de quelqu’un, d’un groupe (source : Petit Larousse). Faire son pré carré : augmenter la surface de ses terres, de son domaine. « Nos paysans, proches parents des paysans bretons, se contentent d’élargir leur pré carré quand ils le peuvent ». H. Bazin, Vipère au poing, 1948. Source : Trésor informatisé de la langue française. (c) Et si la France, comme l'Angleterre, repoussait à 18 ans l'âge de fin de la scolarité obligatoire, elle donnerait un signal marquant au moment où 80% des jeunes de 18 ans sont effectivement scolarisés. (d) Le droit autorise une période d'essai de 2 mois pour l'apprenti-e et l'employeur en cas de signature d'un contrat d'apprentissage. Pourquoi ne pas l'instaurer dès l'entrée en 2de professionnelle, CAP ou 2de générale et technologique dans tout lycée ?