Mon métier m'a construit

"Je me destinais à l’enseignement. Après mon bac en 1966, j’ai fait une année d’enseignement au CEG de Moëlan-sur-mer. De l’expérience a émergé une prise de conscience : j’étais incapable d’enseigner, je n’avais pas d’autorité ou j’étais incapable d’exercer une dominance sur les élèves. Je ne savais rien d’autre que la peur de ne pas être obéi.

"Est-il possible d’enseigner sans dominance ? La question a été au cœur de mes changements professionnels. Des landes et des prés dont personne ne voulait, mon père avait la fierté d’en faire de belles terres. De mon adolescence, j’avais tiré le goût de la recherche et de l’invention, j’inventais des machines agricoles. Le métier de Co-Psy m’apparaissait une friche professionnelle, un territoire à deux pas de l’école propice à l’invention, j’y suis resté.

"Après avoir tenté d’explorer la construction du projet d’orientation, j’ai choisi de comprendre l’échec et la réussite. Mon inconscient traçait le chemin, définissait les détours, les passages obligés, prenant le temps des erreurs inhérentes à mes apprentissages, organisant les rencontres nécessaires de mes transformations.

1980 : le GFEN-orientation avec Jean-Yves Rochex. 1989 : Roger Perrot le premier, m’a ouvert la porte de sa classe de terminale, puis Yolande Dréano sa grande section de maternelle. 1990 : Richard Huvet, IEN-IO à Nantes, m’a donné un mi-temps de formateur. 1996 : Jean-Luc Chaillou, principal de collège, m’a donné carte blanche pour le projet « Changer pour réussir ». 1997 : Louisette Guibert, IA-IPR, m’a choisi pour le CAREP-CASNAV à Nantes. 2006 : Jacques Vauloup, IEN-IO, m’a interviewé à mon départ de Nantes sur mon évolution professionnelle et le travail avec les professeurs et les élèves en difficultés. 2008 : réalisant un DVD « élèves décrocheurs », Anne Grange a rendu possible la réalisation d’un DVD de vidéos de cours, levant l’obstacle de l’écriture sur le métier d’enseignant.

"Et ceux essentiels avec qui j’ai travaillé, Laurent Loiseau, Romuald Chollet, Lucette Demouveau, Didier Chauvin, ou qui m’ont fait travailler dans leurs établissements : Catherine Gay-Boisson, Laurence Bompas, chefs d'établissement. Ceux qui ont croisé ma route. Et tous ceux ici qui ont généreusement pris le risque d’ouvrir leurs classes à ma caméra.

Est-il possible d’enseigner et d’éduquer sans dominer ?

"Autour de cette seule question, j’ai construit un corpus de savoirs et de compétences sur les motivations, le sens, l’échec, la réussite, la relation à l’autre, à distance de ce qui s’échange habituellement dans les conseils, les commissions et les salles des professeurs. Je suis passé d’une conception d’attributs affectés aux individus − qualités, aptitudes, confiance en soi, déficits en dys, dons divers, handicaps traduits en besoins éducatifs, ces attributs propres au sujet et le définissant par référence à une norme − à une conception du sujet se construisant dans ses interactions avec le réel familial, social, scolaire.

"Les comportements y sont l’action ou la réaction du sujet, ils sont symptômes dont il s’agit de retrouver le sens ou la cause. Aptitudes et compétences sont des schèmes, les résultats d’une action du sujet inscrits en liaisons neuronales. La motivation manifeste le désir de se développer et signe les conditions favorables de l’éducation. Je ne définis pas l’élève par référence à une norme mais par ses activités : est-il en activité réflexive ou seulement en activité procédurale ? a-t-il confiance en ses ressources ? ressent-il du désir ? quels sens l’école a-t-elle pour lui ?

"J’ai fait le lien entre ce que j’observais et la conception piagétienne de l’activité régulée. Mais toute activité mobilise le sujet, il le manifeste dans ses émotions. Dans la psychanalyse, il y avait à trouver comment associer à l’activité cognitive la manifestation de l’identité du sujet, le sentiment de soi, l’image construite de soi dont les émotions sont la manifestation ou l’activité. J’ai compris en quoi les expériences d’échec et de réussite sont cumulatives et laissent chacun en confiance ou croire en l’illusion de son incapacité. Plus que de rendre consciente l’ignorance, la confrontation à l’inconnu réactive le sentiment de soi d’y pouvoir quelque chose ou de n’y pouvoir rien sans le reconnaître. « C’est impossible » ou « on m’a pas encore appris » disent-ils.

Dominance ou autorité

"Découvrir que la relation professeur-élève peut être d’autorité quand l’élève réussit et pas toujours, mais qu’elle est de dominance de manière massive à l’école. Alors, ils ne veulent pas obéir pour le prix de se soumettre. Ainsi, les transgressions, l’absence d’activité manifestent les conditions défavorables d’éducation et engagent le sujet dans une mutinerie dont le sens apparaît dans l’effet miroir.

"Chez les professionnels, elle désigne la dominance dans leur relation aux élèves. En classe, quand il n’y a rien à apprendre, il y a encore à s’exercer, à dominer ou se soumettre. L’école n’est pas encore une école où la relation est fondée sur la coopération, les échanges, l’autorité.

Un psy au quotidien au collège

"Faisant retour sur l’orientation, j’ai compris que les élèves en échec étaient démunis d’activité, et par là du désir. Il y avait à restaurer l’activité et la puissance de soi pour réactiver le désir. Et comment désirer en classe au prix d’apprendre à se soumettre. Il y avait à interroger la relation pédagogique. D’un côté, la complicité de mon IEN-IO m’avait installé dans la classe et dans la formation des enseignants. De l’autre, je me suis redéfini comme psychologue de l’éducation.

"J’ai voulu l’expérimenter pour mon compte : dans mon dernier collège, j’ai instauré une permanence quasi quotidienne. Les besoins manifestés par les élèves, les rendez-vous répétés avec nombre d’entre eux, les thèmes traités me laissent ravi d’avoir installé ce qui m’est toujours apparu nécessaire, la présence quotidienne du Psy dans l’établissement scolaire.

"Un professionnel à l’écoute des souffrances générées chez les élèves et chez les professionnels, analysant les conditions de l’éducation, le sens des comportements, l’activité d’apprentissage, les pratiques d’enseignement et d’éducation, stimulateur des prises de conscience. Le Psy agent de transformation des activités et des pratiques de la dominance et de la dépendance vers l’émancipation et l’autorité.

"Ce que j’expérimentais avec les professeurs, ce que je n’avais jamais cru possible et toujours espéré, quelle joie d’avoir cette année commencé entre conseillers d'orientation-psychologues à travailler ensemble nos pratiques d’entretien. Bonnes chances à vous. Merci et au revoir." Michel Breut, Bordeaux, 1er juillet 2012.

On retrouvera ici l'intégralité des deux interventions de Michel Breut lors de la journée d'études "Diversifier en classe entière au collège", Le Mans, 31 mars 2010 : Diversifier en classe entière au collège, pourquoi ? (pp. 21-30) ; Apprendre quand on ne veut plus apprendre (pp. 79-80). Il y avait réalisé une intervention très remarquée aux côtés de François Muller et de Jean-Michel Zakhartchouk.

Ce billet a été amodié le 2 février 2022