Et en même temps : « Tout est bouché, sois stratégique et dépêche-toi ! »

Ce discours paradoxal est porté également par les parents. Il crée un vertige du choix, alors même qu’il y a peu de perspectives. Comme si trouver sa voie pouvait être une révélation. (...) Alors qu’il existe une multitude d’endroits pour trouver de l’information, le choix peut être anxiogène. Source de liberté, il peut se révéler aussi source d’angoisse, de vertige, voire de ­solitude, même chez les gens très entourés, avec des parents qui conseillent, des amis qui cherchent aussi leur voie… Nous sommes dans une culture de l’immédiat et on entretient l’idée que ce choix pourra se faire rapidement. Ce qui manque, c’est du temps, du temps pour soi. Du temps pour faire le point. Il faut oser le temps long pour se trouver, s’ajuster, choisir et rechoisir son chemin. Avancer par tâtonnement, par refus, par addition successive d’expériences, tout au long de sa vie, c’est un processus qui dure jusqu’à la retraite. On l’oublie ou on le nie. La société française a peu pensé ce temps long de la construction de soi.

L'adulte, avant tout un diplômé ou un sujet ?

Cécile Van de Velde ajoute qu'une bonne part de l'inquiétude, de l'angoisse, du pessimisme des jeunes Français (mais pas seulement !) vient de ce manque-à-penser ce temps long. Incapacité individuelle ou sociétale ? Elle ajoute : " Dans ces sociétés qui ont tout fait jouer sur le diplôme, qui envoient le message qu’un adulte c’est avant tout un diplômé davantage qu’un sujet, les jeunes vont être atteints dans leur confiance parce qu’il faut aller vite, choisir vite. Et ce, encore plus en temps de crise, quand il faut gagner la compétition scolaire pour avoir des chances de se placer sur le marché du travail. Ces modèles forcent le choix précoce et créent un ­enjeu autour de l’orientation, comme on le voit en ce moment en France."

À l'opposé, dans les sociétés où on dit « Tu as le temps, le temps de choisir et le temps de te tromper », l’optimisme et la confiance sont plus forts. C'est largement le cas, comme on sait, dans les pays d'Europe du Nord, au Canada, en Nouvelle-Zélande... Pour l'auteure, la génération-charnière qui vient détient les clés de sortie de crise. "La question qui se pose est celle-ci : va-t-on enfin oser, en tant que société, lui faire confiance et lui ouvrir les portes ?" Comment les situations de travail à venir pour les nouvelles générations à venir intègreront-elles la quête de sens qui les habitent plutôt que les attendus économistes de la compétition mondiale ?

Génération éduquée, décalée, critique

Cécile Van de Velde : " Les jeunes portent déjà un nouveau monde, un nouveau rapport au temps, une forme d’accélération de la société. C’est une génération du décalage : du décalage entre le monde dont elle hérite – un monde qui se vit en crise et en ­déclin –, et le monde qu’elle va porter, le monde de l’ouverture, de la connexion... (...) C’est une génération éduquée et très critique, qui peut marquer son histoire. Face à l’adversité, elle cherche un nouveau sens et défend une forme d’existentialisme, elle a envie de vivre ce présent, de redonner du sens, sans peur de la mobilité. Si on lui laisse les clés, elle aura des choses à changer."

Last but not least : "La confrontation avec le marché du travail, la recherche d’emploi, la première expérience professionnelle dans des ­emplois de services (être serveur par exemple pour payer ses études) sont souvent perçues comme difficiles voire violentes. Ce n’est pas l’autorité en soi qui est remise en cause : quand elle est pensée comme légitime, elle est acceptée. Ce qui est rejeté, c’est l’idée d’une pression absurde, la perte de sens, la sensation d’être réduit dans son être et sa valeur, d’être « marchandisé ». La valeur travail n’a pas baissé au cours des générations, on voit au ­contraire qu’elle a presque augmenté sur certaines dimensions. Elle va de pair avec l’envie de pouvoir s’exprimer, d’exister pour soi et pour les autres dans le travail, d’avoir une place qui ­répond aux aspirations. Cette approche affective et créative passe aujourd’hui par le modèle du free-lance, de l’artiste, ou de l’indépendant, beaucoup plus que du travailleur salarié."

O21. S'orienter au 21è siècle

Pour la deuxième année consécutive, Le Monde organise, pour aider les 16-25 ans, leurs familles et leurs enseignants à se formuler les bonnes questions lors du choix des études supérieures, Le Monde organise la seconde saison d’« O21 / S’orienter au 21e siècle », avec cinq rendez-vous : à Nancy (vendredi 1er et samedi 2 décembre 2017, au centre Prouvé), à Lille (vendredi 19 et samedi 20 janvier 2018, à Lilliad), à Nantes (vendredi 16 et samedi 17 février 2018, à la Cité des congrès), à Cenon, près de Bordeaux (vendredi 2 et samedi 3 mars 2018, au Rocher de Palmer) et à Paris (samedi 17 et dimanche 18 mars 2018, à la Cité des sciences et de l’industrie). Dans chaque ville, les conférences permettront au public de bénéficier des analyses et des conseils, en vidéo, d’acteurs et d’experts, et d’écouter et d’échanger avec des acteurs locaux innovants : responsables d’établissements d’universités et de grandes écoles, chefs d’entreprises et de start-up, jeunes diplômés, etc. Des ateliers sont aussi prévus. On peut s'inscrire individuellement ou collectivement à une ou plusieurs conférences d’« O21 » sur le site du Monde.