Le double par rapport aux 13 000 de 2016 et un gouffre comparé aux 4 000 d’il y a sept ans. Les deux tiers (60 %) des arrivants sont recalés par les départements à la suite d’un entretien qui consiste à évaluer leur maturité, à croiser les dates, leur place dans la fratrie et d’autres éléments sur lesquels ils peuvent s’emmêler s’ils mentent sur leur âge.

Ces jeunes – 70 % d’Africains et 20 % d’Afghans – qui ne réussissent pas à convaincre entrent dans la catégorie des « mijeurs », comme les a rebaptisés Médecins du monde : ni mineurs ni majeurs, juste des adolescents dans un entre-deux qui leur interdit la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance, réservée aux mineurs, et les nuitées au 115 ou les repas aux Restos du cœur, pour les adultes uniquement. Véritable casse-tête administratif, leur situation révèle au grand jour un accueil inéquitable sur le territoire, et un système à bout de souffle." (NDLR : La France bien pensante voit-elle bien que ces quelques milliers de réfugiés sont loin, très loin, très très loin des 700.000 Rohingyas birmans que le pauvre Bangladesh a accueilli sur son territoire depuis l'été 2017).

Solidarité privée, gestion publique indigne

Chaque soir, des particuliers limitent leur nombre de nuits dehors en leur offrant un lit. Face à l’ampleur du phénomène, Médecins sans frontières (MSF) a annoncé mercredi 29 novembre l’ouverture d’un centre de jour spécifique à Pantin, le 5 décembre, « pour tous ceux qui passent leurs jours et leurs nuits dans les rues de la capitale… ». À Lyon, un groupe se réfugie à l’université depuis le 18 novembre ; à Nantes depuis le 22 ; à Marseille, une église a servi de refuge du 21 au 24 novembre ; c'est aussi le cas à Hérouville-Saint-Clair.

La prise en charge des mineurs non accompagnés est confiée aux départements. S’il a moins de 18 ans, un étranger sans adulte référent est hébergé dans le département où il est arrivé, qui l’évalue, avant d’être envoyé ailleurs au nom de la solidarité territoriale. En cas de décision stipulant qu’il est majeur, il peut faire un recours devant un juge des enfants, mais c’est très long, et entre-temps, il est à la rue. La préoccupation des départements est grande, le travail requis par leurs services dépasse souvent leurs ressources humaines et la baisse des dotations de l'Etat laisse augurer bien des problèmes non résolus.

Le premier ministre a promis une réforme pour le printemps 2018 et a commandé pour mi-décembre des propositions à un groupe de travail réunissant les inspections générales de l’administration, des affaires sociales, de la justice et des représentants de l’Assemblée des départements de France – mais aucune association. Il a précisé le 24 novembre que l’Etat « assumera » l’accueil de ces jeunes « jusqu’à ce que la minorité soit confirmée » et rappelait que « 132 millions d’euros » (déjà prévus sous Hollande) avaient été ajoutés au budget 2018.

D'abord des enfants à protéger

Sans présager des décisions à venir, le Conseil d’Etat vient de verser un élément supplémentaire au débat en légitimant l’existence des Centres d'accueil et d'orientation pour mineurs isolés étrangers (CAOMIE), le 8 novembre. Ces centres d’accueil et d’orientation pour mineurs étrangers ont été ouverts en urgence par l’Etat lors du démantèlement de la « jungle » de Calais en octobre 2016 et présentent des garanties moindres que les structures départementales. « Si l’Etat reprend les évaluations en main, les jeunes qui ne seront pas reconnus mineurs risquent de se retrouver rapidement avec une obligation de quitter le territoire français »

La réforme s’annonce donc compliquée. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a prévenu qu’un « transfert de compétences » vers l’Etat fait craindre que s’installe « un dispositif qui tendrait à considérer ces jeunes d’abord comme des étrangers, avant d’être des enfants à protéger ». Exactement ce que redoutent M. Martini ou Carine Rolland, médecin de Médecins du monde en charge de ce dossier à Nantes. Pour ces deux militants, « si l’Etat reprend les évaluations en main, les jeunes qui ne seront pas reconnus mineurs risquent de se retrouver rapidement avec une obligation de quitter le territoire français ».

Pendant que se dessinent des politiques plus dissuasives, les mineurs étrangers, eux, quittent leur famille de plus en plus jeunes pour multiplier leurs chances d’entrer dans les canons européens de l’accueil. A quel prix !

En Ouganda, un accueil inclusif

D'après l'enquête du Monde en date du 1er décembre 2017, on estime que plus de 1 million de Sud-Soudanais ont déjà trouvé refuge en Ouganda, pays voisin. Encore plus intéressant : les Sud-Soudanais sont logés au cœur des communautés locales. En effet, selon une loi ougandaise de 2006, les réfugiés bénéficient dune parcelle pour cultiver librement, de la liberté de travailler et de circuler dans le pays. Ils ont également accès aux services de santé et d’éducation au même titre que les Ougandais. Ce, malgré la faiblesse des ­infrastructures locales. Une stratégie donnant-donnant : cinq ans après leur installation, les réfugiés sont censés être autosuffisants. Ils s’intègrent alors dans le marché du travail, et contribuent à leur tour au ­développement du pays.

Ce nouveau modèle de gestion des crises migratoires à grande échelle est issu de la déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants, dont les engagements ont été votés en septembre 2016 par l’ONU. En matière de politique migratoire, l’Ouganda est le plus avancé des dix Etats ­pilotes d’Afrique et d’Amérique centrale dans la mise en œuvre d'un accueil inclusif. S’il fonctionne, ce modèle sera répliqué sur des crises à venir pour endiguer les migrations, notamment vers les pays occidentaux. Pour parvenir à cet objectif, la communauté internationale s’engage à partager les responsabilités avec les Etats débordés par des afflux massifs, à travers une aide financière accrue et la relocalisation des réfugiés les plus vulnérables dans des pays tiers.

Le système éducatif ougandais est débordé. « L’école est au fondement de la connaissance. Mais que pouvons-nous transmettre aux élèves ? », interroge, faussement candide, un enseignant. Le nombre d’élèves atteint 600 par classe dans son école. Jusqu’à 2 000 dans d’autres. Les enfants accourent pieds nus en classe, « le ventre vide ». Ni pupitre ni matériel pédagogique ne sont disponibles dans cette école partagée par les communautés.

Les populations locales montrent des signes de colère face aux services éducatifs et de santé jugés défaillants. Barrages routiers, acheminement de l’aide suspendu ou menaces contre des expatriés, des manifestants protestent contre l’augmentation des prix et pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Ces tensions, les sages tentent de les désamorcer lors de médiations publiques. A l’issue de l’une d’elles, à l’ombre d’un manguier dans le camp de Maaji, Paulino Russo, chef du ­conseil des anciens, invective ses concitoyens : « Soyez patients et souvenez-vous : il y a trente ans, c’est nous qui fuyions la guerre civile et partions chez nos frères soudanais. Demain, nous pourrions être des réfugiés à nouveau. »