L’intériorisation de normes genrées transmises par la société, la famille et l’école infléchit les comportements de l’enfant dès son plus jeune âge.

Depuis trente ans, en France, on stigmatise à juste titre, mais sans presque rien remettre en cause dans nos manières de faire, la sous-représentation des filles dans les filières scientifiques et techniques. Que faire pour les mener à ouvrir davantage le champ des possibles ? Comment ne pas les conforter dans une autocensure et une autolimitation de leurs ambitions ?

En quoi, en tant que psychologues de l'école, pouvons-nous aider filles et garçons, enseignants et parents à cette nécessaire prise de conscience ?

Malgré des années d’actions et de sensibilisations, des conventions, colloques et séminaires, des productions d’ouvrages et de conférences de grande valeur, l’orientation scolaire et professionnelle reste largement genrée. Pourquoi ? Ce qui résiste ne touche-t-il pas, au fond, à la répartition des tâches ménagères et d’éducation à la maison…

Ce qui bloque ne s’apparente-t-il pas à ce que Bourdieu a dénommé la domination masculine… Le vrai sujet est vraisemblablement ici : on ne peut parler sérieusement du genre en orientation sans travailler tout autant à la conscientisation des garçons qu’à celle des filles, et avec les deux à la fois.

Et n’oublions pas qu’à côté des discriminations de genre, d’autres inégalités ethniques, sociales, économiques, culturelles, environnementales, perdurent.

Que faire à l'école ?

Les propositions ci-dessous ont été publiées notamment dans la fiche 19 du Guide néo-psy édité en juin 2017. Rappelons-en la substantifique moelle, qui se sera enrichie des vifs débats sociétaux actuels sur l'écriture inclusive et sur les violences faites aux femmes.

Action 1. L'École soit s'engager sans tergiverser tout de suite et simultanément dans trois directions, chacune d'entre elles menée de pair avec les deux autres : (1) La lutte contre toutes les violences faites aux femmes ; (2) la place du genre dans les manuels scolaires, dans les enseignements et l'éducation quotidienne, à reconsidérer totalement ; (3) L'orientation scolaire et professionnelle, fortement genrée, qui n'a de chance d'évoluer que si l'on traite vraiment, foncièrement et durablement les axes (1) et (2).

Action 2. Chez les jeunes filles et les jeunes femmes, le harcèlement à l'école, le cyber-harcèlement, la phobie scolaire, le décrochage cognitif et conatif, le mal-être identitaire sont largement sous-estimés. Les psychologues de l'éducation nationale doivent reconsidérer leurs activités dans cette direction.

Action 3. Puisque des siècles de machisme, de domination masculine, de pouvoir masculin, de passe-droits masculins ont entaché non seulement les relations privées entre les hommes et les femmes, mais aussi ce qui fait société et enfin la démocratie même dans son triptyque fondateur - liberté, égalité, fraternité -, il est temps de changer radicalement le modus operandi : ce sont d'abord et avant tout les garçons et les hommes qu'il faut éduquer, préparer à une vie plus partagée, plus équitable avec les filles, les femmes, initier à une démocratie quotidienne de l'ici-et-maintenant, aux rôles réellement partagés entre hommes et femmes.

Et l'écriture inclusive ?

Si ce n'est pas, à mes yeux, la question majeure, on ne saurait toutefois laisser l'Académie française régenter seule cette question sociétale quand on se rappelle que cette institution nobiliaire d'Ancien régime créée en 1635 ne comporte à ce jour que 10% de femmes en son sein... Soit en tout et pour tout, quatre femmes ! (Ndlr. Au 16 mai 2023, 6 femmes Immortelles seulement, soit 17% de l'ensemble ; de 2018 à 2023, 2 femmes élues, et 6 hommes ; à ce rythme, dans combien de temps la parité à l'Académie ?)

Mais il est une question qui pourrait être réglée aisément : la déclinaison de tous les noms de métiers au masculin et au féminin. On verrait ainsi des femmes premières ministres (1), présidentes de la République, et des hommes hôtes de caisse, nettoyeurs de surface, aides-soignants, professeurs de lettres et même... psychologues ! Pince-moi, je rêve ! On commence quand ?■

(1) En cinq Républiques, la France a compté, en tout et pour tout, deux Premières Ministres : Edith Cresson (du 15 mai 1991 au 2 avril 1992, présidence Mitterrand), et Elisabeth Borne (du 16 mai 2022 au..., présidence Macron).

Ce mot a été amodié le 16 mai 2023