Plutôt que de réduire les inégalités face à l’école, les politiques de démocratisation scolaire des années 1980 et 1990 les ont repoussées, tout en permettant à l’institution scolaire de prendre de plus en plus de place dans la vie des individus. Cet ouvrage saisit la façon dont se déroulent, concrètement, les trajectoires scolaires des élèves entrés au collège dans les années 2000. Et c'est en quoi sa lecture est indispensable.

Extraits

Le collège creuse les inégalités et les écarts entre les élèves. "Quatre années au collège ont accentué les écarts scolaires entre les 530 élèves étudiés. Pendant quatre ans, les différents élèves ont progressé différemment, ce qui les a conduits à vivre des expériences distinctes. Pour les uns, le collège a constitué un univers enveloppant où leurs efforts ont été régulièrement récompensés, où apprendre est parfois devenu un plaisir, où des relations sociales enrichissantes ont été nouées. D'autres ont subi l'échec et les commentaires désobligeants de certains enseignants, ils ont dû reconnaître qu'ils n'étaient pas "doués" (on le leur avait déjà un peu dit avant), mais qu'ils devaient quand même "faire leur temps" au collège. Pour d'autres encore, cet univers du collège est longtemps resté ambivalent, jusqu'au verdict de la fin de troisième. Puis, l'histoire scolaire des élèves s'accélère : chacun doit choisir une orientation au sein du second cycle de l'enseignement secondaire. Les conseils de classe de troisième font partie de ces moments sociologiquement heuristiques où le passé et l'avenir font corps, où l'histoire des élèves est rapidement condensée et épinglée d'un verdict ultime - une décision d'orientation, comme le nomme l'institution scolaire - et où l'avenir de l'élève est présagé suivant tout un ensemble de "catégories de la divination professorale" (Darmon, 2012), de représentations plus ou moins biaisées sur les élèves et les divers ordres d'enseignement" (p. 151).

La filière professionnelle au coeur des tensions. "Voie modale des élèves des franges inférieures des classes populaires, la filière professionnelle se situe au coeur des tensions caractéristiques de la scolarisation totale. En son sein s'observent des stratégies de distinction (...). En son sein également, des apprentissages professionnels se scolarisent, ce qui signifie que la voie professionnelle reproduit les mêmes grilles de lecture et donc les mêmes classements entre les élèves que le collège. En son sein, enfin, la norme de poursuite d'études est patente et les exclus de l'intérieur s'y retrouvent nombreux. La voie professionnelle est ainsi confrontée à des problèmes essentiels de gestion de l'ordre scolaire. Evoluant au sein de ce système qui produit certaines "rédemptions" mais aussi des abandons et des échecs, les élèves sont marqués durablement par les jugements indissociablement scolaires, sociaux et psychologiques qui sont portés sur eux " (p. 258).

L'intériorisation du succès ou de l'échec. "L'école parvient à transmettre aux enfants des classes populaires l'idéologie méritocratique qui les conduit à se sentir coupables/responsables de leur échec ; elle contribue à entretenir des espoirs d'ascension sociale ainsi qu'un mépris des emplois de salariés d'exécution qu'ils exerceront in fine " (p. 260).