Il a montré la coïncidence entre la préoccupation du droit de l'orientation des élèves dans le système éducatif et la montée des usagers dans le service public. On pourrait rappeler d'ailleurs la circulaire princeps du 23 février 1989 relative au renouveau du service public (Rocard).

À côté de ce basculement, la deuxième évolution consiste, d'après Lafore, avec la prolifération de la notion de projet, dans l'introduction d'une action que Crozier appelle l'action stratégique. Tout d'abord, dans les structures administratives elles-mêmes, on note l'émergence d'une logique systématique de projet. Quant aux sujets qui sont pris en charge par ces structures, c'est le même processus qui est requis : Il faut qu'ils se situent comme acteurs (...) : exprimer des demandes, s'assigner des objectifs, se construire un projet, le négocier avec des partenaires. Et, bien sûr, tout ceci est très problématique car, autant il est facile dans une circulaire ministérielle de quitter la logique normative, quantitative pour y introduire une dimension et une injonction qualitatives, autant il est probablement très difficile, dans les systèmes collectifs organisés, de réaliser cela, d'apprendre à le réaliser parce que ça ne se décrète pas ! Crozier écrivait en 1972 On ne change pas la société par décret ; il ne savait pas si bien dire...

Qui est responsable dans l'orientation ?

Cette logique de production des acteurs suppose de remplir trois conditions. D'abord qu'il y ait des sujets juridiques, mais au-delà, des sujets socialement opérants, efficients. Ensuite, si, dans ce nouveau modèle d'action collective, il y a des sujets, il faut qu'ils puissent agir ; la régulation et le contrat sont les instruments d'une société de sujets et on les retrouve dans les problématiques de contrats passés avec les usagers. Troisième point, s'il y a des sujets et des moyens d'action, il y a nécessairement une responsabilité, là encore avec une cristallisation juridique de cette responsabilité. Mais à quelles conditions peut-on être responsable, et de quoi ? Qui est responsable de quoi ?

Le sujet et ses droits

Dans le modèle démocratique, les individus sont jugés libres et autonomes. Mais dans un tel modèle, si les groupes intermédiaires s'affaiblissent, le sujet évidemment gagne en autonomie mais perd en protection. Une des façons de pallier ce manque qui se crée sous les pas des individus est l'inflation des droits du sujet : droit à la santé, au logement, à l'orientation, etc. Côté positif, c'est la reconquête, la redécouverte, par la démocratie, d'un ensemble de droits constitutifs de sa citoyenneté et de son existence comme sujet. Côté négatif, c'est l'aporie d'un ensemble de droits qui finissent, du fait de leur inflation même, par s'annuler les uns les autres, par émietter la citoyenneté en autant de catégories et sous-catégories dotées de droits, et, au final, par faire perdre la possibilité de poser une loi commune.

La régulation par le contrat

Relation bilatérale égalitaire et symétrique, le contrat prétend rééquilibrer les rapports sociaux, les rapports entre les usagers et l'institution. Mais que devient la dimension du collectif si la régulation sociale se subjectivise en une multitude de contrats individualisés ? Que deviennent les institutions qui sont garantes de l'existence d'un principe collectif qu'on appelle, en droit administratif français, l'intérêt général ? En se négociant en une multitude de petits contrats individuels, l'intérêt général continue-t-il à subsister ? Et, par là, la collectivité ne se délite-t-elle pas totalement dans des régulations ?

Deuxième observation : ne voit-on pas combien l'injonction contractuelle − "Passe un contrat, sois capable de t'exprimer comme sujet à égalité avec ton cocontractant" − est lourde de dominations, d'inégalités, puisque les capacités contractuelles réelles sont très diversement réparties. Derrière ces diversités, ces inégalités de capacités contractuelles, la seule voie consiste à réinstituer le collectif, c'est-à-dire à poser le principe selon lequel la collectivité a à voir dans les relations intersubjectives. Tout ne se réduit pas à des relations intersubjectives, les préférences individuelles ne sont pas l'alpha et l'oméga du fonctionnement social.

La responsabilité

Qui est responsable de ou plutôt, dans l'orientation ? Effectivement, l'idée de responsabilité est proportionnelle à l'existence du sujet et à la réalité du contrat. On ne peut pas faire passer un contrat à un mineur, juridiquement, car cela conduirait non pas à annuler la forme contractuelle, mais à la ramener à un niveau d'opérationnalité qui situe bien ses potentialités et ses limites. Le grand danger serait que les institutions, notamment celles qui ont des missions éducatives, se déchargent de leurs responsabilités en renvoyant les difficultés sur les acteurs de base qui seraient mis en demeure de passer contrat sans qu'un cadre à cette relation ne soit déterminé.

Du côté du jeune, les acteurs mis en devoir de passer un contrat ne peuvent le faire valablement et de façon responsable que si la structure au sein de laquelle ils agissent ne les laisse pas seuls et démunis face aux demandeurs. Sinon, il s'agit soit de procédures formelles et vides de sens, ce qui les disqualifiera très vite, soit d'une charge très lourde et insupportable. On le voit, c'est la responsabilité de l'institution qui est convoquée, au travers de sa capacité à définir un cadre de principes et de normes pour que le champ contractuel soit clairement intégré dans une relation d'essence pédagogique et que le contenu contractuel soit vivifié par les finalités et les moyens de l'institution toute entière.

À en juger par l'intensité des débats avec le public occasionnés par l'intervention du juriste de droit public Robert Lafore, rencontre inhabituelle avec un homme de droit dans un congrès de psychologues, sa conférence fut un moment unique. Il faut dire que, grâce à l'initiative des organisateurs manceaux de ce 47è congrès national des conseillers d'orientation-psychologues, le palais des congrès était rempli, outre des professionnels de l'orientation, de chefs d'établissement et de professeurs principaux invités. Comment, nous n'aurions pas le droit de faire passer un contrat avec un mineur car c'est un irresponsable juridique ? En quoi le droit public s'appliquerait-il dans un établissement scolaire ? La loi 89-486 dite d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 n'est-elle pas allée trop loin dans l'attribution de droits aux élèves en les mettant au centre du système éducatif ? On le voit, ce débat est toujours actuel vingt ans après en 2018.