L'autre, "le chemin moins battu", nous offre notre dernière, notre unique chance d'atteindre une destination qui garantit la préservation de notre terre. Après tout, le chemin nous appartient. Si, après avoir beaucoup enduré, nous faisons enfin prévaloir notre "droit de savoir", et si nous estimons vains et dangereux les risques que l'on nous demande de prendre, n'avons-nous pas le droit de rejeter le conseil des gens qui veulent empoisonner le monde, et ne pouvons-nous choisir l'autre route, celle du salut ? (Rachel Carson, Printemps silencieux, éditions Wildproject, 1962, avec une introduction de Al Gore)

Dans Faire la paix avec la Terre, article publié dans Le Monde le 17 mars 2020, Mireille Delmas-Marty, professeure émérite au Collège de France, indique que « La crise sanitaire provoquée par la pandémie COD-19 est une démonstration presque parfaite du degré d’interdépendance atteint par nos sociétés ». Et elle en appelle les humains à faire la paix avec la Terre. Apprendre la complexité. Réinventer un droit international plus solidaire. Cultiver l'art d'une nouvelle gouvernance associant savoir scientifique, vouloir citoyen, et pouvoirs publics et privés. Que les biens communs, à commencer par les services de santé, échappent aux contraintes du tout-marché. Enfin, au plan anthropologique, de nouveaux repères, une nouvelle boussole des possibles.

Dans Tirer vraiment les leçons de la crise sanitaire, Dominique Méda exhorte les gouvernants à faire en sorte que la reconversion écologique de nos sociétés soit un impératif absolu. Il faut changer de modèle de développement économique, en mettant en œuvre une politique d’investissement massif dans la transition écologique et en prônant une éthique de la modération. Préserver nos services publics, véritables biens communs. Et changer de modèle de développement : bifurquer radicalement, rompre avec le productivisme et le consumérisme, mettre en œuvre une double politique d’investissement massif dans la transition écologique et de sobriété, sans laquelle nous ne parviendrons pas à stopper l’emballement climatique. Et encore : Nous devons inventer et construire une société postcroissance. (…) Tempêtes, cyclones, assèchement, étouffement, montée des eaux, sols improductifs, pénuries alimentaires, famines, migrations climatiques et évidemment guerres et affaissement de la démocratie... Si nous ne savons pas résister au coronavirus, comment y résisterons-nous ? Comment lutterons-nous contre les virus que le permafrost risque de libérer ? Comment ferons-nous face à des événements que nous ne sommes même pas parvenus à imaginer et à des effets de seuil qui rendront brutalement présents et irréversibles des phénomènes que nul n’imaginait ? Comment comprendre que nos sociétés ne se préparent en rien à des événements qui pourraient advenir dans un laps de temps très court ? Nous devons nous y préparer. Cela doit être notre unique priorité.

Dans Après le confinement, il nous faudra entrer en résistance climatique, un collectif de personnalités, parmi lesquelles Yann Artus-Bertrand, Dominique Bourg, Bruno Latour, Pierre Rabbi, Delphine Grinberg, etc. appelle chacun et chacune d'entre nous, individuellement et collectivement, à s’engager collectivement et individuellement dans une décroissance énergétique mondiale transformant nos vies et nos sociétés. Ainsi volonté politique et volontarisme citoyen iront de pair. Réduire nos émissions en deçà de 2 tonnes de CO2 par être humain et par an (ce qui équivaut à la division par 6 de l’empreinte carbone moyenne d’un Français) est source d’émancipation. Plusieurs actions concrètes - non exhaustives - sont proposées à chacune et à chacun d'entre nous : repenser sa manière de se déplacer et ne plus prendre l’avion, redécouvrir les transports doux et rouler moins de 2 000 kilomètres par an en voiture ; développer la cuisine végétarienne et se nourrir d’aliments biologiques, locaux et de saison, avec de la viande au maximum deux fois par mois ; réinterroger ses véritables besoins pour limiter les achats neufs au strict minimum ; agir collectivement en portant des actes politiques traduisant ces choix à l’échelle de la société. Ce futur frugal et désirable, ces actes de la vie quotidienne sont émancipateurs et moteurs de joies souvent plus puissantes que celles qui furent les nôtres jusqu'à présent.

Avec ses risques et ses incertitudes, ses peurs et ses angoisses, le printemps 2020 est décidément exceptionnel et inédit. Au-delà des semaines à venir, il appartiendra aux gouvernants et aux citoyens, fraternellement, solidairement et sans délai, de penser, d'enclencher et d'engager vraiment le mouvement de décroissance énergétique sans lequel une planète qui dépasserait les +2 °C risquerait de devenir invivable pour les êtres humains. Prenons soin de nous et des autres. Maintenant, chaque jour, demain et après-demain.

Ce billet a été modifié le 20 mars 2020