À la maison, habillée à l'occidentale, sa mère écoute de la musique anglo-saxonne qu'elle reprend à tue-tête avec sa fille, en baskets, vêtue d'un tee-shirt «I'm a catch !» (Je suis un beau parti). Mais dès qu'elle sort de chez elle, elle doit se vêtir en noir de pied en cap, se faire transporter à son travail par un chauffeur de taxi collectif, et son regard ne peut croiser celui d'un homme. Elle élève seule sa fille. Le père vient parfois lui rendre visite ; il passe son temps à jouer à des jeux vidéo, se fait servir les repas et ne lève pas le petit doigt pour aider aux tâches ménagères. Plus tard, il répudiera sa femme afin d'épouser une femme qui «lui donne» un garçon.

La maîtresse d'école : On reprend ! Une élève, psalmodiant le Coran : Je m'en remets à Dieu pour qu'il me réserve une place au Paradis pour l'éternité. Wadjda refuse de chanter ; elle est exclue de la classe par la maîtresse et doit attendre en plein soleil.

Jeune fille vive et un brin rebelle, Wadjda se fait tancer par la directrice de l'école : Comment ? Tu es venue sans foulard ?

Elle ne supporte pas de ne pas avoir de vélo comme son copain Addallah qui frime avec le sien. Elle n'a pas de vélo, car, en Arabie saoudite, les femmes et les filles ne peuvent en faire. Sa mère, à laquelle elle demande de lui en offrir un : Tu as déjà vu une fille sur un vélo ? Chez nous, les filles ne font pas de vélo ; si tu en fais, tu ne pourras pas avoir d'enfant.

La réalisatrice filme admirablement les regards et apartés des jeunes filles entre elles, les premiers petits «trafics commerciaux» enfantins pour s'acheter des bracelets de supportrices des footballeurs, des cassettes de musiques européennes, ou pour économiser, riyal après riyal, en vue de l'achat d'un vélo.

À l'école, Wadjda a compris qu'elle pouvait accroître ses gains en participant au concours annuel de récitation psalmodiée du Coran, doté de 1000 riyals. En fine stratège, elle entre dans une préparation intensive et exclusive à cette fin, et va même jusqu'à acheter pour 82 riyals une méthode audiovisuelle de mémorisation chez le commerçant du coin de la rue. Prête à se conformer pour paraître la meilleure récitante du Livre saint aux autorités de l'école, elle ne se permet plus aucun écart vestimentaire. Elle apprend par cœur, contrairement à ses convictions, le verset 87 : «Ô croyants, obéissez à Dieu, obéissez au Prophète et à ceux d'entre vous qui possèdent le pouvoir…»

Une photo circule entre les jeunes filles. La maîtresse : Qui est-ce ? (La photo montre un homme de 20 ans).

Une fillette de 10 ans : «C'est mon mari».

Jour du concours dans l'amphithéâtre de l'école. Wadjda gagne le concours. La directrice : «Que comptes-tu faire du prix que tu as gagné ?» Wadjda : «M'acheter un vélo» La directrice : «Le vélo, ce n'est pas pour les filles, et je doute que tes parents acceptent, nous ferons un cadeau à Dieu en ton nom et l'enverrons en Palestine». Wadjda est effondrée.

Dans un acte de grande générosité, Abdallah lui proposera de lui donner son vélo ; elle refuse, dans un sourire. La mère de Wadjda, constatant sa répudiation effective par son mari dont, malgré tout, elle était restée amoureuse jusque là, comprendra qu'il ne reste plus qu'elle et sa fille. Elle lui montre le superbe vélo vert qu'elle lui a acheté, soigneusement rangé dans la remise :

«Je veux que tu sois heureuse».

Le film de Haifaa al-Mansour, réalisatrice et scénariste saoudienne, première femme réalisatrice dans la monarchie absolue islamique d'Arabie saoudite, résonne comme un hymne à la liberté et à l'émancipation féminines dans un pays corseté par la loi coranique, par un machisme, un patriarcat et un ultraconservatisme briseurs de libertés publiques et privées. Police des corps féminins, des regards, des déplacements, police des esprits et des mœurs, police scolaire, police religieuse... La réalisatrice filme avec délicatesse, humour et subtilité l'abîme fantasmatique qui, dans la classe moyenne, sépare les femmes des hommes. Elle montre avec brio une jeunesse féminine opprimée dans la chape de plomb coranique et son impossible émancipation dans un des pays du monde qui la bâillonne le plus.