Quelles sont les histoires qu'on se raconte à soi-même sur qui l'on est ? (page 11)

S'il n'y avait qu'une seule phrase à retenir de cet essai, je retiendrais celle-ci, tant elle dit avec justesse, profondeur et concision l'essentiel du Qui suis-je existentiel auquel chaque être humain est confronté, à l'école et ailleurs, relayée en cela par le philosophe Pierre Macherey : "Penser, vivre, connaître, agir, exister, s'orienter, c'est se confronter en permanence à des problèmes d'orientation (...), le grand débat entre déterminisme et liberté."

Après tant d'autres auteurs (Bourdieu, Baudelot, Establet, Dubet, Duru-Bellat, Maurin et l'Observatoire des inégalités, etc.), Frédérique Weixler fait le constat qu'en France tout particulièrement, l'orientation est située, largement et profondément inégalitaire ; elle rappelle, après Antoine Prost (L'enseignement s'est-il démocratisé ? PUF, 1986) que si l'orientation s'est massifiée, cela ne saurait se confondre avec sa démocratisation toujours attendue. Prenant résolument le parti de l'optimisme de la volonté (Gramsci), l'autrice délivre un essai de bon aloi, honnête relevé des mythes, paradoxes et défis d'aujourd'hui et de demain. Pas de quoi en faire pour autant un ouvrage essentiel, au souffle aussi puissant que l'ouvrage éponyme de son illustre prédécesseur Roger Gal (1946).

Pour l'autrice, le parcours d’orientation à l'école ressemble aujourd'hui davantage à l'organisation d'un tri des élèves qui, pour des raisons cumulatives, se révèle étroitement lié à l'origine sociale, qu'à un processus de choix progressif, réversible et éclairé. La réduction de ces inégalités est trop souvent renvoyée aux marges de manoeuvre individuelles et aux « bonnes (ou mauvaises) rencontres ». Considérant l'orientation aussi bien sous l'angle intime de la construction de soi que comme un acte majeur du contrat social, l'ouvrage analyse l'influence de différents facteurs sur les décisions d'orientation.

Plusieurs mythes sont déboulonnés de leur socle : le mythe méritocratique (Plus une sociodicée qu'une vérité, page 25), le mythe de l'adéquation formation-emploi, le mythe du genre, le mythe de l'expert. Plus largement, en pages 36-37, un tableau intéressant des 13 mythes véhiculés par les jeunes scolarisés dans le second degré (Dorn et Welch, 1985). Mais au fond, un mythe, c'est paradoxal : en faire l'analyse critique, certes ; mais c'est aussi, rappelle l'autrice, une force d'impulsion indispensable. Comment renoncer au mythe du métier idéal qui n'attendrait que nous, pour tracer son chemin ? Comment rendre le monde intelligible et composer son propre itinéraire entre certitude et aventure, déterminisme et liberté, conventions et transgression ?

Dans la deuxième et la quatrième parties de son essai, Frédérique Weixler décrit les politiques éducatives implicites ou explicites (sic) et s'interroge sur l'impact de l'éducation à l'orientation et de ses différents avatars successifs (ADVP, éducation des/aux choix, éducation à l'orientation, parcours de découverte des métiers et des formations, parcours a(d)venir). Au fond, peut-on apprendre à choisir à l’École ? Au fil des pages, l'optimisme de la volonté de l'autrice semble laisser place à un pessimisme de l'intelligence (Gramsci) et à un doute implicite, obreptice, subreptice sur l'impact réel de politiques éducatives affichant ostensiblement l'émancipation, la démocratisation et l'égalité. Mais produisant l'inverse.

En bref, un ouvrage personnel de bon aloi. Cet essai n'apporte pour autant rien de bien nouveau au débat. On eût apprécié, de la part d'une autrice engagée dans le milieu associatif, davantage de précisions et d'illustrations vécues issues de son engagement personnel chez Emmaüs. On aurait apprécié aussi d'entendre, derrière le propos aérien de l'inspectrice générale, la voix, les hésitations, les engagements des acteurs et actrices de terrain du quotidien : professeur.e.s, chefs d'établissement, élèves, parents d'élèves, psychologues, directeurs et directrices de CIO... Surprenant tout particulièrement de ne rien lire au sujet des psychologues et directeurs.trices de CIO sous la plume d'une ancienne directrice de CIO. Comme si l'éducation nationale, qu'elle représente dans ses plus hautes instances, n'attendait plus rien d'eux.

Précision éditoriale : Bien documenté (310 notes de bas de page), cet essai ne comporte pas de bibliographie en fin d'ouvrage ni d'index des mots-clés ni d'index des personnes citées.

Pour aller plus loin

Interview de Frédérique Weixler par Bernard Desclaux, Cahiers pédagogiques, 6 novembre 2020

Ce billet a été modifié le 4 décembre 2020