Dans la première page du XIè tome de Dernier royaume, Pascal Quignard ajoute : C'est un chant solitaire que seul celui qui lit entend. L'absence de son externe, l'absence totale de tapage, de gémissement, de huée, l'éloignement maximum de la vocalisation et de la foule des humains que les livres permettent, ramènent une très profonde musique qui a commencé avant que le monde apparaisse. La vraie musique peut-être la relaie elle aussi dès lors qu'elle est écrite. Amo litteras. J'aime les lettres. Musique silencieuse des styles des écrivains que l'on préfère : ils sont comme autant de nudités, bouleversantes, particulières, intimes, touchantes, incomparables.

The New York public library : plus de 90 sites à New York City, 50% de fonds publics, 50% de fonds privés, 50 livres empruntables par emprunteur à chaque emprunt, une ample numérisation des données, une très large amplitude horaire d'ouverture. Une institution publique de référence. La 3è plus grande bibliothèque du monde participe activement à la cohésion sociale des quartiers de NYC. Un lieu ouvert à tous et à toutes dédié à l'éducation et à l'excellence : salles de lecture, auditoriums, conférences, concerts, etc. Dans Ex libris (2017), le cinéaste Frederick Wiseman en fait un portrait vivant, complet, édifiant (durée : 3h25').

Le livre physique, déconnecteur permanent

Accroissant la place des programmes éducatifs dans ses sites, multipliant les animations culturelles, harmonisant ses activités avec celles des services sociaux et éducatifs de NYC, notamment pour les laissés pour compte du numérique et les populations allophones très nombreuses dans le melting pot de la ville, la New York public library est devenue au fil des ans un lieu crucial pour lutter contre l'exclusion. Elle organise régulièrement dans les quartiers des réunions publiques de présentation et d'échange autour de ses réalisations et de ses projets. L'emblème d'une culture ouverte, accessible, gratuite et qui s'adresse à tous.

Faisant suite à la publication en ligne de son manifeste «Contre Amazon» en 2017, l’écrivain espagnol Jorge Carrion en reprend le titre pour une invitation à voyager dans les librairies du monde entier, au gré de ses rencontres avec d’autres auteurs, amoureux comme lui de la matérialité des livres. Le romancier, critique et essayiste Jorge Carrión, qui dirige le master de création littéraire à l’université de Barcelone, y énonce qu'espaces riches d’informations introuvables sur Internet, promesses de rencontres imprévues, les librairies et les bibliothèques publiques offrent une expérience unique, essentielle, «qui n’a pas d’alternative numérique».

Bibliothèques publiques engagées dans des projets culturels, éducatifs, sociaux dans les villes et les campagnes (c'est malheureusement devenu plus dur pour elles en ruralité), librairies indépendantes de plus en plus malmenées par la concurrence exacerbée des grandes surfaces commerciales et par les géants de l'Internet toutes ailes déployées et protégés par la défiscalisation de leurs gains monstrueux, les unes et les autres constituent des activités essentielles, capitales, cardinales, éminentes, foncières, fondamentales, indispensables, majeures, nodales, nécessaires, primordiales, principales, substantielles, vitales. Et même si, après la sidération du premier confinement du printemps 2020, les libraires et les bibliothèques ont su organiser la possibilité d'emprunter ou d'acheter des livres en click and collect lors du second confinement de l'automne, libraires et bibliothécaires, usagers et clients regrettent à juste titre de ne pas avoir été considérés comme des services et commerces essentiels. Car la librairie physique et la bibliothèque physique restent bien supérieures aux librairies et bibliothèques virtuelles. Peut-être le Gouvernement serait-il plus attentif à ce qui est véritablement essentiel si ses décisions s'appuyaient non sur un Conseil de défense et la nomenklatura sécurito-sanitaire mais sur un assentiment plus partagé des citoyennes et citoyens. Jorge Carrion, écrivain de science-fiction et critique culturel espagnol : «L’immense avantage du livre en papier n’est pas sa légèreté, sa durée de vie, son autonomie ni sa relation intime avec nos processus de mémorisation ou d’apprentissage, mais sa déconnexion permanente». Et Quignard encore : Il fut tout ce qu'il lut (Le lecteur, NRF-Gallimard, 1976, page 12).

Ce billet a été modifié le 19 décembre 2020 puis le 21 mars 2021

Pour aller plus loin

The bookshop, rencontre avec Isabel Coixet, Arte

Sorel P. (2021), Petite histoire de la librairie française, éditions La Fabrique