Mon coach, c'est mon CIO ! (CIO 91)
Par Jacques Vauloup le dimanche 6 février 2022, 05:49 - S'orienter - Devenir - Lien permanent
"Ado, je rêvais de devenir psychologue scolaire. Avec mon BTS administratif, j'ai été chargée de com' chez un bailleur social. En reconversion, après un an de formation, j'ai créé mon entreprise de coaching scolaire". Quelle belle success story ! Sauf que conseiller d'orientation est un métier de psychologue à Bac+5. Et que le service public coache aussi !
Le conseil en orientation est un métier
Il y a un siècle, dans l'immédiat après Première guerre mondiale, des pionniers construisent une orientation professionnelle pour tous. 1928 : création de l'Institut national d'orientation professionnelle (INOP, aujourd'hui INETOP), le premier établissement de psychologie appliquée en France. Depuis 1928, sans discontinuer, on y forme des conseillers d'orientation professionnelle
, puis des conseillers d'orientation scolaire et professionnelle, des conseillers d'orientation, des conseillers d'orientation-psychologues et aujourd'hui des psychologues de l'éducation nationale.
Les psychologues de l'éducation nationale sont formés à l'INETOP-CNAM (41, rue Gay-Lussac à Paris), ou dans l'un des cinq centres régionaux de formation : Lille, Nancy, Rennes, Aix-en-Provence et Lyon. Tous ces centres de formation sont intégrés à l'Université, on y forme des psychologues titulaires du titre de psychologue et reconnus comme tel.l.e.s par les Agences régionales de sante (ARS) et, à ce titre, détenteurs d'un numéro ADELI. Le concours d'entrée, très exigeant, est réservé aux titulaires a minima d'une licence de psychologie et d'une inscription en master (M2) de psychologie.
Le CIO est un service public gratuit, compétent, spécialisé
À l'issue de leur formation universitaire, les psychologues de l'éducation nationale sont nommés dans les Centres d'information et d'orientation (CIO). Ces derniers constituent un réseau national public et gratuit de grande compétence reconnue pour le conseil en orientation scolaire et professionnelle, la pédagogie de l'orientation (Parcours avenir), l'évaluation des compétences et la prévention du décrochage scolaire.
Chaque CIO collabore étroitement avec un ensemble d'établissements publics de sa zone géographique (collèges, lycées, universités) mais aussi, sous des formes allégées, avec les établissements privés sous contrat avec l'État ainsi qu'avec les Centres de formation d'apprentis. En moyenne, le temps de travail des psychologues effectué en établissement scolaire oscille entre 60 et 75% de leur temps de travail global.
Halte aux coachs privés !
Alors, trop, c'est trop ! Depuis des années, et avec une nette accélération depuis 2017, les politiques néolibérales de New Public Management tuent à petit feu les CIO et empêchent les professionnels compétents d'exercer leur métier dans des conditions décentes. Mieux, l'allègement fiscal du crédit d'impôt de 50% attribué aux contribuables pour les emplois à domicile inclut bien entendu le conseil en orientation.
Dans L'empire des coachs (2006), Roland Gori et Pierre Le Coz nous alertaient : La pratique du coaching est adossée à une interprétation rabougrie de l'homme, qui dissout son être dans une collection de comportements stéréotypés produits par un cerveau programmable et déprogrammable à volonté. En abolissant toute différence entre les épreuves de l'existence et les épreuves sportives, entre la quête du sens et celle de nouvelles parts de marché, le coaching met en danger la santé mentale des générations futures. Plus qu'une normalisation, il constitue une véritable aliénation des esprits
(pages 167-168).
Et encore : Quel que soit son domaine d'application, le coaching conçoit toujours l'homme comme une micro-entreprise autogérée ouverte à la performance et à la compétition. À ce titre, il est bien à l'image de la culture postlibérale à l'émergence de laquelle nous assistons
(pages 171-172).
Seize ans après l'avertissement oublié de Gori et Le Coz, face à l'anxiété ou à l'angoisse engendrée par la réforme incessante du lycée, la crainte légitime de l'avenir et les mécaniques absconses d'AFFELNET et de PARCOURSUP, de plus en plus de parents craquent pour le coaching et mettent la main à la poche pour des centaines d'euros, voire plus ! Mais en fait, cela leur revient à deux fois moins cher du fait des largesses de Bercy. Chers parents, pour commencer, demandez à votre coach d'orientation son n° ADELI (ARS) de psychologue... Et, si vous voulez un service public d'orientation aux moyens à la hauteur des enjeux, c'est le moment de le dire : on vote dans deux mois !
Commentaires
Le coaching : de l’art d’arroser le sable Ou : Pavlov + Hayek < Léontiev + Mitterrand
L’orientation est arrivée en France après la première guerre mondiale porteuse de l’idéologie étasunienne du "right man at the right place" pour les besoins de l’industrie. C’était nécessaire de l’appliquer à grande échelle car peu de machines et beaucoup de besoins humains, mais aussi peu de personnes qualifiées car peu de diplômés en errance. L’orientation d’alors alimentait l’organisation scientifique du travail.
Le coaching est un prolongement de cette idéologie utilitariste, qui s’applique à un contexte inverse, celui de la désindustrialisation. Il fait fi de la personne humaine, de son développement, de son histoire, car une ressource qualifiée, nombreuse et disponible existe. Son but est d’utiliser l’existant pour le rentabiliser au mieux. Il alimente la fonction RH (ressources humaines) qui est le carburant du projet et de son management via le PMO (project management office) qui consolide les bonnes pratiques et développe au travers d’un volapuk ad hoc la culture de l’organisation.
L’homme-machine, malléable, servile, consentant, l’homme-objet est le socle commun sur lequel s’appuie la gouvernance des hommes par ceux qui possèdent les moyens et l’organisation des moyens de production. Au taylorisme, au libéralisme, au capitalisme financier de façon plus générale, on y croit comme à une évidence. Cette idéologie ignore que l’individu abstrait dont elle se nourrit n’existe pas. Seule la société existe.
D’où le malaise. Comme l’orientation professionnelle, le coaching échouera, rejeté par son environnement humain. Bien que l’orientation professionnelle ait prouvé son infirmité à traiter la question du sens du travail, le coaching suit sa posture behavioriste. Rien ne doit exister entre S et R (stimuli/réponses). L’homme n’est qu’un rat pour lui. A ce jeu, le rat roumain est pour le français un rude concurrent.
Dès lors, soyons confiants dans les CIO et les psychologues de l'éducation nationale d’aujourd’hui.
L’orientation en France n’a pas toujours su se dégager des préoccupations immédiatement utilitaires. Mais elle s’est transformée au fil de son activité, passant du Professionnel au Développement, au moyen d’une scolarisation massive, organisée et volontariste.
L’orientation, instrumentalisée, a échoué jusqu'ici à définir et faire reconnaitre par le grand public son objet comme un métier de l’humain.
Un métier par l’humain conscient de l’importance de la composante relationnelle, collective, solidaire qui est la caractéristique du développement humain.
Un métier axé sur le développement de personnalités capables de survivre dans un monde changeant et complexe mais capables aussi de le transformer.
Un métier de service public qui permette à son usager de lire son monde et de construire des biographies familiales, scolaires, sportives, professionnelles, etc. qui rendent la vie possible.
Un métier qui permette de se tenir à l’écart des autoroutes de la servitude et d’une propagande mal intentionnée et flatteuse.
« Alors petit(e), tu me fais un dessin... Non, je préfère enfiler les rondelles ».