Deux mille touristes en Antarctique en 1980, 125.000 en 2024, selon The international association of antarctica tours operators (IAATO). Combien en 2030 ? 2040 ? 2050 ? La plupart d'entre eux, aux hauts niveaux de revenus, sont originaires de l'hémisphère Nord. De ce fait, vu les distances à parcourir, l'empreinte carbone de ce tourisme de la dernière chance (last chance tourism) en est d'autant plus élevée.

Pour le moment, environ 500 navires de tourisme proposent ce type de prestation vers l'Antarctique qui constitue, depuis le traité sur l'Antarctique (1959), un territoire internationalisé peuplé de 77 bases scientifiques permanentes ou saisonnières (dont 5 bases chinoises). Contrairement à l'Arctique, aucun habitant humain ne réside en permanence dans l'Antarctique. Les traités internationaux actuels y interdisent toute exploitation minière ou minérale.

Pour verdir leur activité fort polluante, les croisiéristes proposent aux scientifiques des activités de conférenciers-consultants ou des installations intégrées aux navires afin de leur permettre de mener leurs expériences. Belle illustration du green-washing (écoblanchiment) ambiant.

Ainsi le trafic touristique et ses conséquences délétères pour l'environnement croissent chaque année au fur et à mesure que les eaux libérées par la fonte accélérée de l'inlandsis découvrent de plus en plus d'étendues navigables, donc de plus en plus convoitées par les touristes de la dernière chance.

Y aller ou pas ?

Au moment du débat avec la salle, assis au cinquième rang, un homme d'environ 80 ans prend le micro, sûr de lui, et interpelle le conférencier :

− Avant de partir (sic), j'ai décidé il y a quelques années d'aller visiter tous les caps les plus au sud de la planète : j'ai déjà fait (sic) le cap Comorin, le cap de Bonne-espérance, le cap Horn... Il m'en reste quelques-uns à voir, comme le cap Leeuwin par exemple... Et vous voudriez m'empêcher de le faire ?

(Rémy Knafou, en réponse) Vous avez tous les éléments à votre disposition. Libre à vous, puisque vous en avez les moyens, de poursuivre votre tourisme de la dernière chance. Moi, je n'irai pas.

Nous y sommes. Combien de temps faudra-t-il attendre pour que les États et les Autorités locales et régionales régulent les flux et les flots touristiques en Antarctique et en Arctique ? Mais aussi, pour commencer, dans les villes-mondes et les sites-mondes : Paris, Venise, Florence, Londres, Barcelone, Rome, Athènes, Santorin, New York, Mont-Blanc, Mont-Saint-Michel, etc. ?

Dans ce domaine, la France pourrait, si elle le voulait, en tant que premier pays quantitativement visité par an dans le monde, avoir un rôle moteur. Mais, pour le moment, aucune initiative de ce genre ne pointe.

Le tourisme de la dernière chance, et pas seulement en Antarctique, est un puissant collecteur de revenus et un considérable attracteur des riches en mal d'expériences fortes et rares, ou tout simplement prompts à rompre leur mortel ennui, quel qu'en fût le coût. On prévoit le doublement des flux de voyageurs par avion dans le monde d'ici à 2050. La transition climatique elle, n'attend pas. ●■

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Pour aller plus loin... ou plus près

Morice J. (2024), Renoncer aux voyages, PUF, 248 pages

Arctique, recul inédit de la banquise, signe alarmant du réchauffement climatique, Le Monde/AFP, 27 mars 2025

Même si les méga-paquebots ne peuvent, pour le moment, proposer des croisières de rêve en Arctique ou en Antarctique, on frémit devant les dégâts environnementaux causés par les géants des mers, tel le MSC World-America (sic) inauguré en grande pompe le 27 mars 2025 aux Chantiers navals de l'Atlantique à Saint-Nazaire. Temple du divertissement, fabriqué pour l'essentiel par des ouvriers indiens, philippins, etc. durs au labeur et payés en-dessous du SMIC pour des horaires excessifs, le MSC-World-America peut transporter 6700 passagers et 2000 membres d'équipage. La course au gigantisme des mers et des océans ne fait que commencer. Elle n'augure rien de bon.

Il suffirait, pour les riches, de se rendre compte que le voyage ne se réduit pas à aller toujours plus loin, toujours plus haut, toujours plus longtemps, toujours plus cher sous prétexte du droit de chacun à exercer sa liberté narcissique de choisir ce qu'il veut, quand il veut, où il veut... du moment qu'il en a les moyens. Pourtant près de chez soi, accessibles à pied, à vélo, par le train ou le bateau à voile, de nombreux lieux, ambiances et paysages se présentent. Il suffirait que les riches prennent conscience qu'on peut voyager au bout de son jardin ou de son balcon, dans un livre ou une musique, dans un film au cinéma ou dans une belle exposition, près de chez soi, bien sûr ! Il suffirait de se limiter, enfin. Mais le propre des riches n'est-il pas de se se répandre ?

Pour voyager en Europe sans avion, sans paquebot, sans auto, on peut consulter les magnifiques cartes de Cartotrain. France, Europe, Italie... Cartotrain conçoit et édite de manière indépendante des cartes dédiées aux déplacements sans voiture.

Voyager en train avec Hourrail (2024), Hachette, 271 p.