Madame, y'a un nouveau !
Par Jacques Vauloup le lundi 17 février 2025, 05:14 - Nos astres errants - Lien permanent
Dans son Unité pédagogique pour les enfants nouvellement arrivés en France (UPE2A), Sophie, professeure des écoles, réunit des enfants du monde entier. Chacun, à son rythme, va s'approprier la langue française, avant d'intégrer une classe ordinaire. Oui, mes chères et chers compatriotes, ces enfants ont envie d'apprendre la langue française. Et ils le font.
Hosni, d'origine tunisienne, arrivé en France avec sa mère dans le cadre d'un regroupement familial. Il entre au cours préparatoire sans parler un mot de français. Il intègre une UPE2A l'année suivante et fait de gros progrès en langue française.
Prisha, père indien, mère adoptive française. Adoptée à l'âge de 8 ans à Calcutta. Arrivée à Aubervilliers sans connaître le français, elle obtiendra plus tard le diplôme national du brevet (DNB) et poursuit son parcours au lycée.
Afo, Ivoirienne arrivée à Villeneuve-la-Garenne avec sa mère et son frère Abdou : On n'était jamais entré dans une école en France. On était impressionné. C'était décoré ! C'était beau !
Abdou : À Abidjan, on était 70 par classe. Ici, quand je suis arrivé, j'étais en retard sur le niveau. Avec Sophie (la professeure des écoles responsable de la classe), on a fait plein de choses pour pouvoir arriver au niveau.
En fin d'année de première ou deuxième année de scolarisation, ces enfants passent le diplôme d'études en langue française (DELF) (niveau 1). Ils poursuivent ensuite leur scolarité dans une classe ordinaire. Dans chaque académie, dans chaque département, l'accueil scolaire des enfants de moins de 16 ans venus du monde entier est non seulement obligatoire dans l'enseignement public, mais adapté à la situation initiale de chaque enfant ou adolescent. La continuité des parcours scolaires est assurée en lycée.
La scolarisation adaptée ne passe pas toujours par l'admission dans une classe spécifique (UPE2A). D'ailleurs, ces unités pédagogiques sont peu nombreuses, implantées en école élémentaire ou au collège (voire au lycée) dans les villes les plus importantes, et inexistantes ailleurs.
En outre, les moyens affectés à la scolarisation des enfants du monde et des enfants voyageurs sont très limités, voire étiques dans les villes moins importantes. Ils sont quasiment absents dans le réseau de l'enseignement privé sous contrat (hors Apprentis d'Auteuil), pourtant financé par l'impôt pour les trois-quarts de son budget.
Cette scolarisation est organisée par le rectorat d'académie et les directions départementales de l'éducation nationale, sous la responsabilité des centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (CASNAV).
L'ouvrage majeur d'Aurélie Castex nous invite à suivre des enfants de nationalités différentes dans le quotidien de la classe de Sophie Delègue (Paris, 19e arrondissement). (Re)découvrir le professionnalisme inouï de ces enseignantes et enseignants des écoles, collèges et lycées qui s'investissent fortement et durablement dans une activité singulière, peu valorisée dans les carrières et inconnue des médias.
Un parcours d'immersion progressive, d'inclusion adaptée. Comprendre et communiquer. Lire et écrire en français. Mais pas seulement ! Les élèves suivent les autres enseignements avec leur classe de rattachement. L'exercice est rendu d'autant plus délicat que les enfants intègrent l'unité pédagogique à des dates variées correspondant à leur période d'arrivée en France.
Ces enfants (3-11 ans), ces adolescents (11-16 ans, en collège) ont dû quitter leur pays, leurs amis, une partie de leur famille, leur langue. Certains ont vécu des voyages exténuants et parfois traumatisants. D'où l'importance de l'accueil et de l'adaptation de l'enseignement à chaque situation.
Souvent aussi, dans toute la France, depuis des années, des professeur.e.s anonymes se mobilisent collectivement, bien au-delà de leur rôle, pour trouver des conditions décentes de vie aux nouveaux arrivants. Au risque du découragement.
Un grand livre sur des réalités souvent méconnues par les citoyennes et citoyens. Il valorise, justice rendue, le travail des enseignants et enseignantes de français confronté.e.s à des enjeux sociaux énormes. Engagement humain, solidarité des équipes éducatives.
Ne l'oublions pas : c'est avec de telles professionnelles, de telles personnes et d'aussi remarquables citoyennes et citoyens que notre société tient, que nous faisons humanité ensemble et que la France ne déshonore pas sa démocratie et sa tradition d'accueil. ●■
Pour aller plus loin
Bande-annonce film Apprendre, réalisatrice Claire Simon, janvier 2025 (durée : 1'47'')