Hommage à Richard Huvet [1/2]
Par Jacques Vauloup le jeudi 30 janvier 2025, 04:41 - Dis papy, à quoi ça sert un inspecteur ? - Lien permanent
Né à Oignies (Pas-de-Calais), fils d'instituteur-directeur d'école communiste adepte du mouvement Freinet, installé à St-Sébastien-sur-Loire au début des années 1980 au fil d'une mutation d'inspecteur chargé d'information et d'orientation, Richard Huvet (1950-2025) est mort le 18 janvier à Nantes. Un inspecteur pas comme les autres, qui ne se sera jamais trompé de métier, comme tant d'autres, hélas, le firent.
Après la mort de son épouse Monique il y a plus de vingt ans des suites d'un cancer, lui-même atteint depuis des années déjà d'un cancer vigoureux, Richard aura montré une endurance, un courage et une grandeur d'âme remarquables.
Où allais-tu chercher une telle fortitude, mon cher Richard ? Comment auras-tu puisé, dans les forces qui te restaient et s'amenuisaient de mois en mois, de jour en jour, l'énergie qui te fit aller, bon an mal an, jusqu'au bout alors qu'en toute lucidité tu te savais condamné ?
C'est l'histoire d'un gars des corons en allé, au gré des vents porteurs, vers l'Ouest et l'Atlantique qui lui permirent de conjuguer son travail d'inspecteur en orientation, sans cesse renouvelé, sans répit questionné, celui de son épouse orthophoniste au CHU de Nantes, et son amour de la navigation à voile.
C'est sans doute par tropisme parental ou continuité familiale que, toute ta vie, tu te seras passionné pour la pédagogie des plus pauvres, des plus faibles, des plus en danger à l'école de la République. Et que la psychopédagogie, la psychologie du développement et des apprentissages furent pour toi, outre ton engagement politique, les moteurs véritables et constants de ton action.
Après des études de psychologie à l'Institut régional d'orientation professionnelle (IROP) de Lille (devenu ultérieurement le CFPSYEN Lille-Villeneuve-d'Ascq), Richard devint conseiller d'orientation puis jeune directeur de CIO. En 1981, il passe l'exigeant et sélectif concours d'inspecteur chargé d'information et d'orientation − qui n'a rien, à l'époque, d'une promenade de santé : 3 épreuves écrites, 1 inspection de CIO, 3 épreuves orales, est nommé à Le Mans (1981-1982), à Nantes à partir de 1982, puis à Laval et à La-Roche-sur-Yon. Il fut également inspecteur chargé de circonscription pour le premier degré de 1996 à 1998 à Ancenis.
Nous avons passé 23 ans en tant que collègues inspecteurs en orientation dans l’académie de Nantes. Lors de mon arrivée en 1989 au Mans et à Laval, d'emblée tu t'étais situé à mes yeux comme un inspecteur chargé de mission académique près des élèves en difficulté au collège, ce qui ne pouvait que me réjouir vu mon parcours et mes engagements antérieurs. Il faut dire que, cas étonnamment rare dans la profession, tu te définissais et agissais à la fois comme conseiller technique d'un inspecteur d'académie en département et chargé de mission en académie. Là aussi, tu dénotais et détonnais chez les atones.
Son combat intelligent, anticonformiste, parfois iconoclaste, intense et permanent pour les élèves les plus démunis et les professeurs qui enseignent là où d’autres ne veulent pas aller l'amena à expérimenter dans les classes, à construire des dispositifs de formation, à animer des équipes de formateurs, à former des professeurs, des chefs d'établissement, des conseillers d'orientation, des assistants sociaux, ou encore à diriger pendant plusieurs années l'association des Pupilles de l'enseignement public en Vendée (PEP 85).
Lors de nos réunions mensuelles d'inspecteurs en orientation, nous n'étions pas d'accord sur tous les sujets, bien entendu. Mais j'appréciais beaucoup tes notes d'opportunité, tes fiches-projets et tes fiches-de-synthèse pleines de créativité et de vision professionnelles, avec lesquelles tu exposais ton action départementale du moment ou tentais de nous embarquer dans un projet académique. Ton côté poil-à-gratter indisposait les pisse-froid, les carriéristes et les fainéants, mais ton implication était contagieuse pour tous les autres.
Son engagement personnel fut professionnel, pédagogique et politique. En marxiste aguerri, il aimait la contradiction, les débats, frotter et limer sa cervelle contre celle d'autrui
(Montaigne, Essais). Du coup, alors qu'avec un éthos si singulier et heuristique, une telle askèsis du faire et une expérience-compétence hors pair il l'eût mille fois mérité, l'ad-mini-stration ne le promut jamais dans le corps des inspecteurs pédagogiques régionaux-inspecteurs d'académie.
En décembre 2023, nous nous retrouvâmes à Mayenne autour d’une journée passionnante consacrée à la pédagogie Freinet chez Guy et Renée Goupil. Quoique souffrant, tu fus, Richard, enchanté de cette belle journée d'échanges et de réflexions sur le passé et l'avenir de la pédagogie. Mes plus compatissantes pensées pour ton fils Antoine et Cécile, tes petits-enfants Émile et Baptiste ainsi que pour Mireille qui fut à tes côtés jusqu'au bout. Salut Richard. Merci, mille fois. Tu as fait le job d'inspecteur. Tu as fait le job de citoyen. Tu as fait le job d'humain. Oh combien ! ●■