» Avoir 12 ans dans les années 1950 ou 1960, c'est vivre dans une autre ville que celle que voient aujourd'hui les enfants par la fenêtre de la voiture de leurs parents.

» À l'image de Christiane qui, à cette époque, passe son enfance à parcourir la ville à bicyclette pour aller à l'école, au collège, ou faire les courses pour la famille. Les rues qu'elle arpente seule sont son terrain de jeu, son espace de liberté, loin du regard des adultes.

» C'est à pied que sa fille Isabelle va à l'école plus de vingt ans plus tard, mais accompagnée. La rue lui appartient, mais uniquement celle devant sa maison. Elle ne va pas explorer la ville aussi loin que sa mère au même âge, trop dangereux.

» Quant à Laura, la fille d'Isabelle, c'est en voiture qu'elle va à l'école dans les années 2000. C'est en voiture aussi qu'elle ira au collège. C'est en voiture qu'elle ira partout depuis le lotissement éloigné du centre-ville et des équipements publics où elle vit.

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» Elle a découvert la ville depuis la banquette arrière, soumise aux angoisses des adultes et toujours méfiante dans ces rues dangereuses.

» Mais il en sera autrement pour sa fille Emma. Il y a trois ans, elle a décidé d'emmener sa fille à vélo cargo dès la maternelle malgré les pistes cyclables anémiques et la jungle automobile de l'entrée des classes.

» Mais tout cela s'est bien amélioré, désormais la rue de l'école est débarrassée des voitures et de vraies pistes cyclables permettent de la rejoindre. Alors Emma, pour sa rentrée en CP, a eu un nouveau vélo pour aller à l'école. ●■

Depuis 1950-1960, de manière croissante et continue, l'automobile exerce un véritable imperium, le plein pouvoir sur nos vies, nos villes, nos campagnes, nos activités professionnelles, sur nos loisirs, nos achats, nos vacances, nos relations amicales et... sur nos enfants.

Pour limiter le tout-bagnole, les auteurs formulent des propositions importantes : interdire systématiquement la circulation automobile devant les écoles, libérer les rues de l'occupation automobile pour les rendre appropriables par chacun, créer des réseaux de pistes cyclables à l'échelle des agglomérations, généraliser les dimanches sans voiture et rues aux enfants et à tous. Liste non exhaustive.

À lire la fin optimiste, un brin irénique, du texte de Christine Leconte et Sylvain Grisot, on pourrait croire que, ces dernières années, la situation s'est nettement améliorée. Dans les grandes agglomérations peut-être, mais chez vous ? dans votre rue ? devant l'école du village ? au bout de votre rue ? sur les trottoirs (quand ils existent, ne sont pas impraticables, défoncés ou recouverts de bagnoles) ?

Et les personnes à mobilité réduite − fauteuil roulant, déambulateur, canne de marche, béquilles, claudication −, où peuvent-elles circuler en autonomie et en sécurité dans l'espace public ? Ce n'est pas pour elles non plus, à l'évidence, que les giratoires hachoirs à cyclistes ont été construits partout avec l'argent profus du contribuable.

Quelle vie mobile, quels déplacements, quelles mobilités voulons-nous pour nous, pour nos enfants et pour les plus fragiles d'entre nous ? ●■

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Ce mot a été amodié le 15 février, le 22 mars puis le 5 juin 2025

Pour aller plus loin

Observatoire des rues aux écoles, Paris. Le collectif citoyen Rue aux écoles milite pour la piétonnisation des quartiers, et tout particulièrement pour celle des abords des écoles.

Leconte C., Grisot S. (2022), Réparons la ville ! Propositions pour nos villes et nos territoires, éditions Apogée.

Dumoulin E., Au Québec, la ruelle devient le royaume des enfants, Le Monde, 5 juin 2025

Chombart de Lauwe M.-J. (1965), L'enfant et les besoins de la cité, revue Topophile

En 1965, il y a soixante ans, la psychosociologue résistante et déportée Marie-José Chombart de Lauwe (1923-) décrit avec lucidité, sans aucune complaisance et avec une grande prémonition de ce qui allait s'amplifier démesurément dans les décennies suivantes : Le monde moderne, et en particulier celui des grandes villes, n'a pas été pensé en fonction des enfants. Que ne dirait-elle pas si elle voyait aujourd'hui ce que la ville, et pas seulement la grande ville, mais aussi la campagne sont devenues ?