À cette phrase-geste du grand historien moderniste Pierre Chaunu (1923-2009) à propos de l'empereur du Saint-Empire romain-germanique Charles Quint, celle d'André Sirota (1941-), psychosociologue, professeur d'université spécialisé en psychopathologie sociale clinique, consultant externe auprès de groupes divers, et survivant de la Shoah, fait écho :

» Qu'est-ce qu'un être humain ?

» C'et une personne capable d'être sensible et attentive à ce qu'elle ressent en présence des autres et d'en dire quelque chose, tout en étant sensible, attentive et intéressée, à ce que les autres ressentent de bien différent dans une même situation, dans un même lieu.

» C'est une personne capable de reconnaître la réalité de la multiplicité des individus et du semblable, sans se sentir mise en danger, et poussée au parricide ou au fratricide. Ce que l'on peut, bien entendu, décliner au féminin.

» L'humanité en chacun.e n'est pas un acquis venant avec la naissance. C'est une capacité potentielle complexe. Elle peut se déployer et s'apprendre, si on veut se construire avec elle. Si on veut la transmettre. Le processus d'humanisation en chacun, en chacun d'entre nous, est un long chemin plein d'obstacles.

André Sirota, Retour à Jitomir, éditions Le Manuscrit, 2023

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On peut aussi relire ce propos d'Alexandre Lhotellier (1929-), bresto-vendéen, lui aussi universitaire, héraut du Tenir conseil, délibérer pour agir (2001), psychologue de tous les combats de la psychologie et de l'humanisation de chacun, par chacun, dans le quotidien ordinaire du dialogue interpersonnel ou en groupe :

» Comment humaniser l’inhumain en chacun de nous ? Non pas parler de l’humanisme ou de l’humanitaire, mais chaque jour de l’inhumain en nous. Qu’est-ce que nous avons fait non pas à la transmission, mais à la transmutation, à la transfiguration ? Une transmission, c’est un témoignage pour une reprise (Kierkegaard).

» Nous ne naissons pas seuls ni de rien. Nous sommes pris dans une Histoire, et ce n’est pas indifférent d’être né en 1780 ou en 1929.

» La transmission n’est pas la fabrication d’une répétition de conduites, mais au contraire l’exigence de constructions innovantes, parce que les conditions ne sont plus les mêmes. Dans le devoir de transmettre, il y a une exigence, celle de tenir debout jusqu’au bout. Transmettre n’est pas léguer un destin préfabriqué.

» Nous pouvons travailler à diminuer l’inhumain dans chacun d’entre nous Car l’essentiel, le primordial, le fondamental, c’est de ne pas empêcher l’autre d’exister, d’être humain. Souvenons-nous que la destruction des Juifs s’est faite dans la grande banalité.

» Cette mutuelle et primitive reconnaissance, ce banal allumé : comment être au plus proche des gens, et non pas une technicité de jargon. Le savoir n’est pas une propriété de quelques-uns, il est un partage essentiel.

Alexandre Lhotellier, Tenir conseil, du déni au défi du conseil, quel devenir ? Le Mans, 24 septembre 2010 ■●

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