Que pouvons-nous faire, nous les héritiers-prédateurs de l'ère du drainage, de la canalisation et de l'endiguement des rivières, de la dégradation des bassins versants, de l'érosion des sols et de leur pollution ainsi que de l'aggravation continue des phénomènes extrêmes, inondations, sécheresses (19è, 20è, 21è siècles) ?

L'advenue de l'effet castor prôné par Baptiste Morizot et Suzanne Husky, un pied dans l'analyse, un pied dans l'action de terrain, les deux mêlées, implique l'invention d'une langue idoine. Ce que nous proposent les auteurs. C'est dire qu'il s'agit là assurément d'une révolution culturelle, d'une métamorphose civilisationnelle.

Florilège

Régénération fondée sur les processus, régénération low-tech, hydrologie régénérative

Boussole du temps profond, du temps long (versus du temps-instant, du temps court)

Médecine castor

Autoguérison du monde (les écosystèmes dénaturés, artificialisés, abimés, peuvent se soigner eux-mêmes quand les humains perdent leur prétention à les dominer et les prédater)

Terraformation, aquaformation

Forces biotiques : système racinaire, couvert végétal, haies, matériel organique du sol, etc.

Refuges climatiques : les rivières vivantes (car elles tamponnent les effets du changement climatique)

Technosolutionnisme (lutter contre, évidemment)

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Agrader (versus dégrader)

Régénérer (mieux que restaurer)

Étangtifier (à rapprocher de authentifier)

Avulsionner, forces d'avulsion (changement chirurgical du cours principal d'une rivière)

Action animaine (à la fois animale et humaine ; et dans animaine, il y a anima, âme, esprit, souffle)

Recharger l'éponge (que faire en effet d'une éponge sèche ?)

Lire la rivière (avant toute intervention, toute modification)

Métamorphoses véloces

Relation responsive (qui répond, qui réagit, origine : anglais)

Alliances entre espèces, entre formes de vie, entre vivants humains et non humains

Lier une praxis à une réflexion l'une et l'autre à égale hauteur de sens, ré-unir dans une égale préoccupation les êtres humains et les autres vivants, parier sur la capacité des humains à habiter autrement les terres vivantes, cela nécessite une nouvelle langue, pas la novlangue appauvrie de 1984, mais tout au contraire une langue au vocabulaire riche, à la syntaxe élaborée, propice à la raison critique et à la pensée complexe.

Une pratique, une éthique, une esthétique, une poétique, une sémantique. Cinq entrées pour ce grand ouvrage. ●■

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Précision essentielle : ce livre n'est pas un ouvrage sur le castor, mais sur « l'effet castor » sur un milieu-rivière endommagé. Ce qui signifie que, dans certains cas, on pourra réintroduire le castor tout en veillant à sa cohabitation avec les humains ; et que, dans d'autres cas, c'est l'humain qui, s'inspirant de l'ultra-longue expérience des castors et de la reconnaissance de la compétence de cet allié, se prendra à aménager autrement les bassins versants. Avec ou sans réintroduction du castor.

Pour aller plus loin

Morizot B., Husky S. (2024), Rendre l'eau à la terre, Alliances dans les rivières face au chaos climatique, Actes sud

Révolutionner notre rapport à l'eau, leçons des castors, interview de Baptiste Morizot, France Culture, 12 novembre 2024 (durée : 38'20, par Guillaume Erner)

Le site de Suzanne Husky, artiste plasticienne franco-américaine, agro-écologue