À l'instar des USA, de la GB et de la plupart des pays du monde, la France est atteinte par la financiarisation croissante de l'enseignement supérieur. En fulgurante accélération depuis la loi n°2018-771 du 5-09-2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel (dite loi Pénicaud).

Et notamment son article L. 6222-12-1 : « Par dérogation à l'article L. 6222-12, toute personne âgée de seize à vingt-neuf ans révolus, ou ayant au moins quinze ans et justifiant avoir accompli la scolarité du premier cycle de l'enseignement secondaire, peut, à sa demande, si elle n'a pas été engagée par un employeur, débuter un cycle de formation en apprentissage dans la limite d'une durée de trois mois ». On avait connu l'entrée en apprentissage entre 15 ans et 20 ans, puis jusqu'à 25 ans. La loi de 2018 autorise désormais l'entrée en apprentissage jusqu'à 30 ans, voire au-delà dans certains cas.

Autant dire que cet effet d'aubaine a ouvert des perspectives non seulement, comme on peut l'espérer, à des jeunes et à des entreprises, mais aussi à la baisse des statistiques officielles de l'emploi des jeunes (l'apprentissage est comptabilisé comme un emploi), et encore, peut-être surtout, à de plus en plus de groupes d'investisseurs sans scrupule attirés par le rendement financier. Hier, un apprentissage essentiellement artisanal et commercial. Aujourd'hui, un apprentissage qui se développe très majoritairement à Bac+3 (licence) ou Bac+5 (master).

2000-2001 : 50.000 étudiants au statut d'apprenti

2022-2023 : 566.000 (11 fois plus)

Si tu es inquiet de ne pas avoir satisfaction dans Parcours sup, viens tout de suite chez nous

Comment ça marche ? Des jeunes insatisfaits dans leurs vœux d'orientation formulés sur la plateforme nationale d'affectation dans l'enseignement supérieur Parcoursup ou dans celle qui concerne l'entrée en master ; des sommes investies dans les études de plus en plus conséquentes − frais de scolarité de 4000 à 9000 euros par an dans le privé, en hausse constante, qui rendent attractifs le salaire versé aux étudiants en cas d'apprentissage et, pour les employeurs, les généreuses subventions de l'État − ; enfin un marketing très agressif dans les forums et salons étudiants ainsi que sur les campus mêmes de l'université publique.

En 2022, 576 300 jeunes suivent une formation de l’enseignement supérieur en apprentissage. Les apprentis-étudiants sont désormais majoritaires par rapport aux apprentis non-étudiants (source : RERS 2024, ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche). Les niveaux 5 (DEUG, BTS, DUT), 7 (master, ingénieur) et 8 (doctorat) réunissent un apprenti du supérieur sur trois et le niveau 6 (licence, BUT, maîtrise), un quart (source : RERS 2024).

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Dans Le cube, révélations sur les dérives de l'enseignement supérieur privé, Claire Marchal décrit l'empire que, grâce à la loi de 2018, se sont constitué de grands groupes, parmi lesquels certains sont devenus de puissantes multinationales, tel Galileo Global Education (1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, 210 000 étudiants, 61 écoles supérieures, parmi lesquelles le Cours Florent, l’EM Lyon, Penninghen, réparties dans 20 pays, notamment en Afrique). Elle a recueilli 150 témoignages et de près de 1 000 documents exclusifs. Du très sérieux.

Dans ce type d'établissement, des personnels de plus en plus pressurisés : semaine après semaine, le suivi des effectifs (reporting), comme une étude permanente du chiffre d'affaires et de la rentabilité. Et sur 10.000 euros versés par l'étudiant, seuls 2000 euros vont à la pédagogie.

Rentabilité : 30% à 40% du chiffre d'affaires

La loi Pénicaud de 2018 a, d'un coup de baguette magique, transfusé 16 milliards par an, et parfois plus, dans l'enseignement supérieur privé lucratif (soit 1,6 fois le budget du ministère de la Justice). Dans sa note thématique Recentrer le soutien public à la formation professionnelle et à l'apprentissage (juillet 2023), la Cour des Comptes stigmatise ce déversement ininterrompu et appelle l'État au "recentrage" de ses subsides.

Bref, les boîtes privées du supérieur captent les étudiants des classes moyennes séduites par leur discours marketing. En conséquence, les campus publics se paupérisent (hors droit et médecine).

Argent public pléthorique + argent abondant des familles = cocktail gagnant pour les actionnaires de Galileo et consorts.

Argent public défaillant + argent déficitaire des familles = cocktail molotov pour l'université publique.

Dix groupes financiers prospères se partagent le gâteau. Quatre fondateurs de groupes d'enseignement supérieur privé figurent dans les 500 plus grandes fortunes françaises. 600 à 700 officines ouvertes pour la plupart à la va-vite suite à la loi Pénicaud de 2018. Ces groupes mondialisent leurs profits via des campus multiples ; au total, ils détiennent 100 campus dans 20 pays du monde, et affichent 300.000 étudiants.

Les étudiants s'endettent de plus en plus ; ils se demandent comment et quand ils pourront rembourser alors que les salaires présumés ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. Certains craquent. Les enfants et petits-enfants des héritiers ne se posent pas, eux, ces questions ; ils savent que leurs parents et grands-parents les couvrent financièrement et qu'ils mettront à disposition leurs larges carnets d'adresses au moment de la recherche d'emploi.

En mars 2025, le lendemain même de la publication du livre de Claire Marchal, la ministre de l'éducation nationale commanditait une inspection de l'enseignement supérieur privé à l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR). Espérons que ce rapport sera publié et que ses conclusions les plus critiques seront suivies d'effet.

Mais, l'enseignement privé supérieur lucratif n'a-t-il pas plutôt besoin d'une sévère limitation que d'une régulation de la part de l'État vache-à-lait ?

Mais, l'enseignement supérieur public n'a-t-il pas plutôt besoin d'une confiance loyale que d'une concurrence déloyale de la part de l'État ? ●■

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Payer plus cher pour des diplômes au rabais, émission Être et savoir, Claire Tourret, France Culture, 10 mars 2025

Marchal C. (2025), Le cube, révélations sur les dérives de l'enseignement supérieur privé, Flammarion, 2025