Voir le fascisme éternel
Par Jacques Vauloup le dimanche 16 mars 2025, 05:57 - Ex libris - Lien permanent
Dans Reconnaître le fascisme (Grasset, 2017), le sémiologue, universitaire et romancier Umberto Eco (1932-2016) décrit, à partir de sa jeunesse italienne des années 1930 et 1940, les signes ou archétypes de ce qu'il dénomme
Ur-fascisme
ou fascisme éternel
.
S'il n'y eut d'après lui qu'un seul nazisme, païen, polythéiste et anti-chrétien, le fascisme est une manière de quintessence, un collage de diverses idées politiques et philosophiques, fourmillant de contradictions. On peut jouer au fascisme de mille façons, sans que jamais le nom du jeu change
.
Il décrit quatorze caractéristiques pour faire coaguler une nébuleuse fasciste
et considère qu'il ne faut qu'un ou deux de ces ingrédients pour qu'on puisse parler de fascisme :
Culte de la tradition poussé à son extrême, jusqu'au refus de toute avancée du savoir ;
Refus du modernisme issu de 1789 et des Lumières de la Raison ;
Culte de l'action pour l'action, en soi, sans la moindre réflexion critique, d'où la haine de la culture ;
Tout désaccord est trahison, toute critique traîtrise ;
Peur de la différence, des intrus, de la diversité ; le fascisme est par essence un racisme ;
Appel aux classes moyennes frustrées ;
Obsession du complot intérieur et extérieur ; définition d'ennemis et de boucs-émissaires ;
Tout pacifisme est considéré comme collusion avec l'ennemi ;
Mépris pour les faibles, chacun est élevé pour devenir un héros et dans le culte des héros ;
Volonté de puissance ;
Seul le leader est capable d'interpréter la volonté populaire, entendue comme monolithique et indifférenciée ;
Une novlangue (cf. Orwell, dans 1984) au lexique pauvre et à la syntaxe élémentaire.
En fin d'ouvrage, Umberto Eco mentionne le prémonitoire Franklin Delano Roosevelt (1882-1945), 32è président des États-Unis :
J'ose dire que si la démocratie américaine cessait de progresser comme une force vive cherchant jour et nuit, par des moyens pacifiques, à améliorer la condition de nos citoyens, la force du fascisme s'accroîtrait dans notre pays.
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Pour aller plus loin
Eco U. (2017), Reconnaître le fascisme, éditions Grasset. Ce texte a fait initialement l'objet d'une conférence par l'auteur le 25 avril 1995 à Columbia University (New York)
Christian Salmon, citant Guy Debord, dans Libération, le 25 octobre 2024 :
Si le fascisme se porte à la défense des principaux points de l'idéologie bourgeoise, devenue conservatrice (la famille, la propriété, l'ordre moral, la nation) en réunissant la petite bourgeoisie et les chômeurs affolés par la crise, il se donne pour ce qu'il est : une résurrection violente du mythe, qui exige la participation à une communauté définie par des pseudo-valeurs archaïques : la race, le sang, le chef.