Dans leur éditorial, Paola Duperray, Simon Mallard et Laetitia Progin : Les sociétés occidentales ont intégré le coaching dans leur mode de vie. À toutes les sauces et dans tous les contextes, ce terme traverse nos quotidiens : au travail, dans nos loisirs et même dans la vie personnelle. (...) Le coaching demeure l’objet de nombreuses interrogations, aussi bien sur sa légitimité et ses fondements théoriques que sur ses finalités et son anthropologie...

À ce propos, le monde universitaire et certains milieux professionnels − thérapeutes, cliniciens, psychosociologues, consultants − déplorent un marché dérégulé et des pratiques débridées, qui mettent en danger la sécurité des consommateurs en exerçant une concurrence déloyale et agressive à l’égard de leurs métiers.

Un accès à la profession sans aucune règlementation ni validation universitaire. Un risque de charlatanisme voire d’imposture existe dans la mesure où certains coachs ne disposant pas des connaissances suffisantes ou des habilitations nécessaires utiliseraient cadres théoriques, outils psychométriques ou protocoles d’intervention empruntés à d’autres professions, ou aux fondements théoriques fragiles et insuffisamment étayés par la recherche scientifique.

Coaching ou accompagnement ?

La particularité du dossier est de nommer et de traiter les nombreuses controverses auxquelles donne lieu le coaching entre les différentes disciplines (sciences de l’éducation et de la formation, sciences de gestion, psychologie, psychosociologie, psychanalyse), entre les contributions conceptuelles et les plus empiriques, entre les travaux donnant à voir les potentialités du coaching et ceux qui en pointent les dérives, les fragilités structurelles, les incohérences.

Jean-Yves Robin, en psychosociologue averti, pointe les dynamiques de pouvoir et les mécanismes de contrôle, implicites et puissants, dans la relation de coaching. Soulignant les risques d’emprise et les dérives potentielles d’une pratique dont le pouvoir d’influence est parfois occulté sous couvert d’une intention bienveillante, l’auteur insiste sur les risques de confusion épistémologique où les critères de l’« efficace » sont souvent privilégiés au détriment de ceux du « juste » ou du « vrai ».

La psychanalyste Mireille Cifali aborde les dynamiques transférentielles à l’œuvre dans la relation de coaching. Elle met en garde contre la dérive adaptative qui tend à ajuster l’individu aux contraintes de l’organisation plutôt qu’à favoriser une véritable réflexion critique et une émancipation. Elle pointe le risque d’une manipulation inconsciente lorsque le coach adopte une posture de tout-puissant, répondant aux attentes de performance des institutions.

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Maela Paul et Marco Allenbach interrogent la place du coaching dans les dispositifs d’accompagnement en milieu organisationnel. Ils décrivent la tension, qui traverse nos sociétés, entre deux dynamiques : la réflexivité (plus lente, plus profonde et à l’apparence moins productive) et l’efficacité (plus rapide, plus superficielle mais à l’apparence bien plus rentable). Ils insistent sur les enjeux éthiques afin d’éviter que le coaching contribue à l’individualisation, à la psychologisation et à l’asservissement des subjectivités.

Hervé Breton examine les tensions entre ''coaching'' et ''pair-aidance.'' Son article met en lumière le passage d’une approche verticale à une approche horizontale de l’accompagnement, où le soutien mutuel et la coconstruction prennent une place centrale par rapport à la relation asymétrique et hiérarchique. Il propose une redéfinition des pratiques de coaching dans une perspective plus collaborative.

Controverses liées à l’activité de coacher

La deuxième partie du dossier éclaire, par des illustrations variées, les trois principales controverses liées au coaching : sa finalité (démarche réflexive et existentielle vs dispositif performatif, visant optimisation des résultats et productivité) ; les intentions conscientes ou inconscientes du praticien (émancipation du coaché vs contrôle subtil voire dépendance) ; l’inscription institutionnelle (développement personnel et professionnel vs instrument de gestion subordonné à des logiques économiques et à des impératifs normatifs).

Nicole Guionie et Emmanuel Poirel analysent le "coaching exécutif" auprès de directions d’établissement d’enseignement du Québec. Mise en place d'une structure de séances définie, des méthodes et des objectifs précis, des techniques favorisant la prise de conscience et le progrès du coaché. L’article permet d’illustrer la notion de « partenariat stimulant ».

Jean-Louis Ghazal analyse les spécificités de l’accompagnement des chefs d’établissement dans l’enseignement catholique, en se centrant sur les défis éthiques et organisationnels. Il soulève des questions essentielles sur la place du coaching dans les institutions éducatives et sur la nature des attentes des commanditaires.

Estelle Rached, Mirna Hage et Roy Gebrayel font état d’une recherche-action menée au sein du Jesuit Refugee Service, ONG libanaise accompagnant des personnes déplacées et des réfugiés dans la construction de leur avenir, et assurant l’éducation en finançant des écoles.

Bruno Hubert et Stéphane Couckuyt examinent la façon dont les techniques de coaching peuvent être adaptées aux spécificités du domaine sportif, tout en tenant compte des exigences de performance et des dynamiques d’équipe.

Simon Mallard, Rozenn Décret-Rouillard, Laetitia Progin, Gwenola Reto et Jean-Yves Robin examinent de manière critique un programme de formation transnational pour des chefs d’établissement dans le milieu éducatif. Parmi les paradoxes soulignés, bénéficier d’un coaching permet au chef d’établissement de s'ouvrir un espace d’extériorité qui lui permet de rompre la solitude du manager. Néanmoins, cet accompagnement participe d’un renforcement de l’ego et du mythe du super héros chez les chefs d’établissement.

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L'étude de la revue Education Permanente constitue la référence scientifique la plus récente sur la question du coaching. À ce titre, j'en recommande vivement la lecture. Foin d'une pratique individualiste et verticale, le coaching d'aujourd'hui et de demain se doit de développer une meilleure formation initiale et continue de ses professionnels ainsi que des compétences relationnelles, réflexives et éthiques.

C'est à ce prix qu'un coaching de qualité peut advenir. Le coaching − ou l'accompagnement, ou le conseil, ou le compagnonnage, ou le tutorat, termes que je préfère pour ma part − a de beaux jours devant lui s'il trouve le sérieux, la qualité, la densité, la complexité, l'éthique qu'exige toute intervention sur l'humain. ●■

Créée en 1969 par Bertrand Schwartz, Éducation permanente est la première revue francophone de recherche dans le champ de la formation des adultes et du développement des compétences, au travail et hors travail. Une référence sûre.