Il fut ce qu'il lut
Par Jacques Vauloup le samedi 31 mai 2025, 04:24 - Ex libris - Lien permanent
Il décelait dans la passion de lire un péril mortel pour l'âme du lecteur : la lecture était un rapt d'âme. Cet enlèvement, aux yeux du créateur, équivalait à une perdition totale et ne durât-elle que le temps que durât la lecture, les flammes de l'éternité ne pouvaient laver ce péché, ne pouvaient pas régénérer la mort.
Pascal Quignard, Le lecteur, Gallimard, 2014 (1972).
» Ceux qui n'écrivirent pas, qui pourtant auront passé leur existence dans les livres, qui connurent pour toute passion, pour profession aussi, cette sorte de stupeur que la lecture provoque, que le néant, les chimères rétribuent, qui intime au silence, sont peut-être les seuls parmi nous dont la mention doive faire défaut. Que l'oubli les préserve ! (page 19, édition Folio-Gallimard, 2014)
» Aux yeux de Hugues (Ndlr : Hugues de Saint-Victor, De contemplatione), la lecture était la contemplation même, la θεωρία. (page 35, édition Folio-Gallimard, 2014)
» Sans personne (ni auteur, ni lecteur, ni imprimeur, ni vendeur de ce livre). Le lecteur est cet οὔτις, l'animal inconnu, la ruse d'Ulysse mais le vertige d'Homère, la Personne de la Caverne. Le Sans Personne. Une fois le livre ouvert se dissout le support. Tout support. Tout recours. Sans personne (ni monde, ni volume. Ni lecteur ni auteur).
» Le lecteur est cet οὔτις. Sur-le-champ l'obscure grotte de son oeil unique est dissoute dans le même temps que le support du livre est dissous. Lui-même absent dans sa lecture. Sans retour. (page 124, édition Folio-Gallimard, page 124).●■
Quignard P. (1972), Le lecteur, Gallimard, édition Folio-Gallimard, 2014
Pascal Quignard, ouvrages, espace Gallimard
Pascal Quignard, émission L'heure bleue, Laure Adler, France Culture, 2023 (durée : 53'23")