Refonder ou reconsidérer l'orientation ? Deux avis sur le rapport Charvet, par Bob Poisson et Jean Guichard (CIO 74)
Par Jacques Vauloup le mercredi 4 septembre 2019, 05:47 - Ex libris - Lien permanent
Dans sa tribune libre, Bob Poisson, directeur de CIO en poste de responsabilité au CIO Vendée-Est, donne un avis expert sur le rapport Refonder l'orientation, un enjeu Etat-régions, remis au ministre de l'éducation nationale le 25 juin 2019 par les inspecteurs généraux Pascal Charvet, Michel Lugnier et Didier Lacroix. Il y livre un regard précis, ouvert, critique et quelque peu désabusé sur la place étique faite aux CIO dans ce rapport officiel de plus dédié à l'orientation scolaire et professionnelle depuis trente ans. Que feront le ministre et le premier ministre de ce énième rapport et de ses 27 préconisations pour
la mise en cohérence stratégique de la coopération Etat-régions au niveau régional
?
Ce rapport est tout d’abord l’indication que la question de l’orientation a fini par gagner l’ensemble du système éducatif comme une préoccupation majeure, poussée en cela par de nombreux acteurs et des circonstances extérieur.e.s à l’éducation. C’est le concept même d’orientation qui vient de « gagner ses galons » en France.
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Je reste parfaitement convaincu que l’organisation originale des CIO permettait de concevoir autour d’eux tout ce que présente ce rapport comme effort à trouver une organisation congruente pour prendre réellement en charge la question de l’orientation en France. Comme cela n’a pas été possible, Refonder l'orientation invente des collaborations nouvelles à tous les niveaux dont le mérite est de tenter de modifier la manière dont le système a toujours pris soin de laisser la question de l’orientation à ses marges.
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Je crois bien que le grand gagnant de ce rapport serait le CSAIO sous sa nouvelle appellation de DRAO à la fois en termes de champ d’intervention et de pouvoir statutaire. Avec ses trois adjoints au lieu d’un et l’assistance d’un IENIO, avec le pilotage des outils numériques complexes de gestion du système que sont Affelnet, Parcours sup ou Mastersup, avec sa liaison au supérieur, le SAIO se verrait doté de réels moyens pour accompagner les changements du système éducatif. Il deviendrait de ce fait, un service éminemment stratégique des politiques rectorales. S’il avait déjà pour partie ce rôle dans le passé, ce rapport le conforte considérablement en lui donnant notamment la mission de construire un lien fort avec les inspections pédagogiques
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Pour résumer, si l’on s’intéresse principalement à l’accompagnement en orientation, on peut trouver des motifs de satisfaction dans ce rapport Refonder l'orientation. Par contre, si on vise la défense des CIO et de leur personnel, force est de constater que leur rôle se voit extrêmement réduit par rapport à ce qu’on a pu connaitre dans un passé lointain maintenant, et très loin des ambitions qu'un certain nombre d'entre nous avions pour faire des CIO la "plaque tournante de l'orientation", avec un statut de personnel de direction pour les DCIO, sans réussite il faut bien le dire. (...) Aujourd'hui, les CIO seraient de fait réduits à ce qui pour moi est "la portion congrue" : un simple rôle d'accueil des publics. Pour autant, ce rapport ne méconnait pas les compétences des PsyEN dans le conseil en orientation et la dimension d’accueil de certains publics au CIO. Si toute notre ambition était là, ce rapport, Refonder l'orientation ne nous ferait pas particulièrement mal. Mais si nous avions l’ambition d’être les fers de lance de l’accompagnement en orientation en France, il n’en va pas de même puisque visiblement les rapporteurs ont choisi d’autres réponses.
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Une vue ptoléméenne de l'orientation est-elle inéluctable ?
D'après Jean Guichard, le rapport dirigé par Pascal Charvet dessine une vue « ptoléméenne » d’une orientation uniquement conçue du point de vue de l’école. L’accompagnement à l’orientation est un guidage des parcours scolaires aidant les élèves à choisir les formations qui leur conviennent le mieux, un guidage soucieux de limiter la reproduction sociale et les choix « genrés », et tenant compte, si possible, des possibilités ultérieures d’insertion professionnelle. Le passé et le présent scolaires sont les déterminants fondamentaux de la direction que le jeune – perçu uniquement comme un élève (ou un décrocheur) – doit donner à son existence. L’accompagnement à l’orientation tel que le conçoit ce rapport vise fondamentalement à l’aider à répondre à la double question suivante : compte tenu de mes résultats scolaires, quelles sont les formations dans lesquelles j’ai des chances de réussir ? Laquelle me convient le mieux ? Que ce rapport développe une telle vue de l’accompagnement à l’orientation n’est pas étonnant. C’est un écrit institutionnel, rédigé par des cadres de l’institution, ne se référant quasiment pas à des travaux externes. Et surtout pas aux analyses universitaires rigoureuses relatives au rôle de l’organisation scolaire française dans la situation sociale catastrophique dans laquelle se trouvent un grand nombre de jeunes à la sortie de l’école (pour ne pas mentionner les problèmes économiques qu’elle contribue à produire, ni la souffrance scolaire qu’expriment un nombre croissant de collégiens, de lycéens et d’enseignants).
Du coup, quelle éducation à l’orientation pourront mettre en place ces nouveaux « professeurs – ou conseillers principaux d’éducation – accompagnateurs et formateurs de l’éducation à l’orientation », dont le rapport Charvet définit le profil ? Jean Guichard : Autant une organisation scolaire de type finlandais semble rendre possible une « approche orientante » au sens où on l’entend au Québec – c’est-à-dire une réflexion des élèves sur le sens de leurs apprentissages scolaires en relation avec leur future vie active – autant une telle éducation est dissonante avec le système scolaire français qui repose sur une valorisation différentielle des disciplines. Dans ce contexte, l’éducation à l’orientation peut très vite devenir un dispositif, s’adressant à ceux qui sont orientés (ou pourraient l’être) vers des formations ne correspondant pas à leurs souhaits, destiné à leur permettre de s’engager dans des processus de rationalisation a priori ou a posteriori (observés, notamment, par Dumora et Lannegrand-Willems, 1999). Toutefois, compte tenu de la nature de la formation prévue pour ces professeurs et conseillers principaux d’éducation – une formation rapide mettant l’accent sur l’information sur les métiers, les filières de formation et leurs débouchés – il est vraisemblable que leur activité tendra à ressembler à celle des anciens professeurs délégués de l’ONISEP.
Et les psychologues du conseil en orientation ? Quel avenir se dessine pour eux ? On l’a vu : ils sont devenus des psychologues de l’éducation nationale option « éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle ». Mais, comme l’observe fort justement le rapport Charvet, la probabilité est forte que leur rôle se réduise aux questions d’adaptation et d’inadaptation à l’école et que s’efface progressivement leur fonction de conseil en orientation. Cela d’autant plus que leur formation dans ce domaine est désormais très réduite. Par ailleurs, beaucoup de ces psychologues vont être affectés dans des lycées. Or, la situation nordaméricaine montre que les conseillers d’orientation exerçant dans des établissements scolaires souffrent souvent de devoir effectuer de nombreuses tâches étrangères à leurs missions (voir : Viviers, 2014 ; Kim, & Lambie, 2018).
Par ailleurs, conclut Jean Guichard, comment aider un jeune à considérer sa situation scolaire en la situant parmi ses autres expériences, alors que le dialogue de conseil se déroule au sein même d’un établissement scolaire ? Autant de questions qui semblent indiquer que le futur est sombre pour le service public d’accompagnement psychologique à la construction des vies actives… Ainsi pourrait se réaliser, dans un avenir proche, l’espoir de Georges Pompidou qui, alors qu’il était Premier Ministre (1962-1968), souhaitait que disparaissent ces « esprits faux » qu’étaient à ses yeux les conseillers d’orientation et que « l’orientation soit le fait des professeurs » (comme le rappelle Jérôme Martin, 2018). Mais alors, quelles institutions proposeront un accompagnement à l’orientation copernicien adapté aux enjeux du monde d’aujourd’hui (et conforme aux engagements internationaux de l’Etat Français) aidant les demandeurs à trouver leur réponses à la question : par quelle vie active puis-je contribuer au développement d’une économie durable, équitable et humaine ?
Les avis de Bob Poisson et de Jean Guichard constituent à mes yeux deux points de vue d'experts lucides et inquiets pas si éloignés que ça l'un de l'autre en somme. Le rapport Charvet ne constitue d'aucune façon un rapport dont on se souviendra, hormis par la caution totale qu'il accorde aux politiques gouvernementales actuelles. Aucun souffle là-dedans. En tout cas, pas l'air frais qu'on attend dans les époques troublées, dans les changements d'ère, et qu'on trouva à la Libération dans les grands textes de Roger Gal, de Henri Wallon et, quelques années plus tard, chez Antoine Léon. Et on se demande bien comment on fera de l'orientation sans de véritables professionnels et services d'orientation à l'éducation nationale.
Refonder l'orientation, un enjeu Etat-régions, P. Charvet, avec M. Lugnier et D. Lacroix, rapport au MEN, juin 2019, 116 p.
Réactions primaires au rapport Charvet, par Bernard Desclaux, 28 juin 2019
Ce billet a été modifié le 4 novembre 2019