Kirsten Larsen (DK), responsable du service d’orientation à distance eVejledning, présente ce service qui s’adresse aux jeunes en formation initiale et aux adultes en recherche d’une formation complémentaire ou désirant réorienter leur carrière.

Y travaillent 35 conseillers, localisés sur l’ensemble du territoire et rattachés à la fois au réseau des centres d’orientation municipaux (public scolaire et adulte) et à celui des centres régionaux (concentrés exclusivement sur les études supérieures), qui développent eux-mêmes de nombreux services, en lien notamment avec les établissements d’enseignement et agences pour l’emploi.

Dorothea Engelmann (DE), responsable de département chez Bundesagentur für Arbeit (Agence fédérale pour l’emploi). En Allemagne, la formation professionnelle (et par voie de conséquence l’orientation professionnelle) est une compétence fédérale, contrairement à la France. La BA, premier opérateur public en matière de formation professionnelle et d’emploi, offre de nombreux services d’information en ligne à destination des jeunes publics, ciblant par exemple ceux inscrits dans l’enseignement dual ou bien les lycéens préparant l’Abitur (baccalauréat). Le conseil à distance s’inscrit dans les perspectives d’évolution à court terme.

Elisabeth Gros (FR), IEN IO, responsable de la plateforme Monorientationenligne de l’Onisep. 50 conseillers, recrutés spécialement par l’Onisep, travaillent à temps plein dans ce service d’aide personnalisée à l’orientation, destiné plus spécialement aux publics scolaires (lycéens). L’offre complète les nombreux services déjà proposés par l’Onisep (bases de données, webclasseur,…).

D’après Laure Endrizzi, qui, au nom d’Eduveille, rend compte de ce colloque dans un article récent, « cette question de l’orientation à distance ne va pas de soi et elle est susceptible de générer des réponses variables, plus ou moins intégrées aux services d’orientation classiques, selon les pays. Avec d’un côté, le modèle centralisé danois, totalement intégré, où les nouveaux services participent d’une stratégie numérique globale et sont incarnés par des professionnels du conseil en orientation dont les attributions évoluent ; et de l’autre, une approche du changement tout aussi centralisée en France pour des services juxtaposés à ceux qui existent déjà et confiés à des professionnels dotés d’un profil documentaire mais novices en matière d’orientation ».

Vers des services 2.0 ?

Pour [Laure Endrizzi|http://l aure-endrizzi.net/||Laure Endrizzi, veille et recherches en éducation], on observe tout d’abord une variance dans le type de services proposés, qui globalement s’inscrit sur une échelle de progression allant du web 1.0 au web 2.0, et qui tend à se traduire schématiquement par plus d’interactivité et plus de possibilité de personnalisation :

• des sites d’information sur les formations et sur les métiers qui constituent aujourd’hui le matériau primaire sur lequel s’appuient les conseillers et qui sont librement accessibles aux usagers internautes ;

• des plateformes de candidature, le plus souvent nationales, permettant aux usagers soit d’émettre des vœux pour telle ou telle formation (dans telle ou telle école) ou pour trouver un stage dans le cadre d’une alternance ;

• des services de communication à distance, intégrant généralement plusieurs modes de communication asynchrone et synchrone (téléphone, courriel, « chat ») ;

• et, plus rarement des services visant une appropriation individuelle, permettant aux usagers de s’engager dans une démarche réflexive, plus ou moins accompagnée (typiquement portfolios ou tests à utiliser en autonomie, totale ou partielle).

« S’agissant des services de communication proprement dit, tous les intervenants ayant mis en œuvre ce type de dispositif ont confirmé la préférence massive des jeunes pour le « chat », comparé à d’autres modalités telles que le téléphone, le courriel, voire les SMS. Quant à l’intégration des réseaux sociaux dans la communication des services d’orientation, il y a ceux qui le font déjà, ceux qui prévoient de le faire et ceux qui n’en parlent pas… En tout cas, il n’y a pas eu de débat sur le bien fondé d’une communication qui s’appuierait aussi sur les plateformes plébiscitées par la jeunesse (Facebook et Youtube essentiellement). Signe que la question ne se pose plus ? Peut-être ».

Un élargissement des publics cibles, pour des services plus équitables ?

« De façon générale, l’ensemble des services à distance s’adresse plutôt à des publics capables de prendre l’initiative de s’informer ou de contacter un conseiller. ... Pour autant, ce public “prêt” ne forme pas un groupe homogène d’individus aux attentes indifférenciées. Le fait que les services d’orientation à distance sont organisés de façon centralisée encourage même un ciblage plus fin des différents publics, en fonction de leur destination. Les Danois fournissent ainsi des services distincts pour ceux qui ambitionnent des études supérieures ; les Allemands ont conçu des plateformes dédiées soit à ceux qui s’orientent vers l’enseignement dual soit à ceux qui préparent l’Abitur et sont appelés à poursuivre dans l’enseignement supérieur ».

« À la question de savoir si les services à distance permettent de toucher ceux qui ne se déplaceraient pas dans un centre d’orientation, la réponse semble clairement positive, même si elle n’est pas encore scientifiquement étayée. D’une part parce que c’est pratique, tout simplement ; d’autre part parce que cela permet de préserver un certain anonymat. Le coût est donc moindre dans le cas d’une démarche à distance, tant en termes de temps à y consacrer que d’aisance à se raconter ».

« La question de l’équité est plus délicate. Dans quelle mesure ces services à distance constituent-ils une opportunité pour les publics les plus en difficulté ? Même si aucune recherche n’offre aujourd’hui d’éléments de réponse, il est permis d’en douter. Parce que toute la littérature scientifique relative à l’accompagnement, quel que soit le contexte, a bien mis en évidence le décalage entre les intentions des « prestataires » et les attentes des “usagers”… et parce que ce ne sont jamais ceux qui en ont le plus besoin et qui cumulent souvent de nombreuses difficultés, qui en tirent réellement les bénéfices ! Ils ne sont pas “prêts”…

« On pourrait d’ailleurs ici aussi se référer aux recherches sur les TIC, qui montrent bien désormais que la fracture numérique n’est plus tant de l’ordre de l’équipement que de celui des usages et qu’elle dépend davantage des caractéristiques socio-culturelles du milieu d’appartenance que du niveau de revenus proprement dit. Certains ne franchissent donc pas le cap, aussi parce que leurs usages des technologies numériques restent basiques et la plupart du temps cantonnés à la sphère récréative (jeux pour les garçons, communication entre filles). Et n’oublions pas que la culture numérique reste avant tout, pour l’instant, une culture de l’écrit… et que la non maitrise de ce code dans un contexte quand même plus formel que la pratique des SMS avec les pairs, peut s’avérer un frein pour certains jeunes ».

Du “one size fits all” ou une vraie personnalisation des services ?

« Ces services à distance ont ainsi en commun de répondre à une demande plutôt individuelle, mais sont-ils personnalisés pour autant ? Certains craignent un appauvrissement du contexte, préjudiciable à la qualité du conseil. Trois points peuvent ici nourrir le débat : - le fait que ces services possèdent le potentiel technique pour s’adresser à un grand nombre d’usagers, quel que soit leur profil, - qu’ils s’inscrivent souvent dans des échanges marqués par le just in time et ne permettent pas a priori un réel suivi des usagers, - le fait que l’identité des demandeurs n’est pas connue, le plus souvent ».

« Cette question de l’anonymat a suscité de nombreuses remarques au fil de la journée, certains participants semblant globalement mal à l’aise avec cette idée d’entrer dans un échange qualifié d’impersonnel. Mais comme l’ont souligné nos collègues danois, l’anonymat peut s’avérer très relatif, certains jeunes n’hésitant pas à fournir des détails assez (trop parfois) intimes sur eux-mêmes… avec beaucoup moins de gêne qu’ils ne seraient susceptibles de le faire en présentiel ».

« Y a-t-il un changement dans la nature des demandes ? sans doute, mais il reste là encore difficile à mesurer. Certains redoutent un glissement vers des prestations plus documentaires et plus ponctuelles, au détriment de prestations sollicitant davantage la formation psychologique des conseillers et pouvant s’inscrire dans une temporalité moins instantanée. On sent même parfois poindre l’idée que certaines prestations seraient plus nobles que d’autres… Mais faut-il vraiment raisonner en terme de concurrence ? »

« En tout cas, la diversité des demandes ne plaide pas en faveur de logiques de type “one size fits all”. Il semble bien, que malgré l’absence d’informations visuelles et de données relatives à l’état civil, la communication s’établit sur une base « personnelle ». Les conseillers à distance, à l’écoute, sont nécessairement amenés à intervenir de manière personnalisée, y compris quand il s’agit d’orienter les jeunes vers d’autres services, sociaux ou médico-psychologiques, susceptibles de leur apporter du soutien. Et le “chat” n’est parfois qu’une 1ère étape, les 2 parties pouvant s’accorder pour poursuivre les échanges par courriel… La combinaison des différents médias sera toujours moins coûteuse que le fait de devoir revenir dans le centre d’orientation… Combien reviennent d’ailleurs, le sait-on ? »

Une idée clé pour penser les services de demain semble être celle de la convergence : « De même que l’on observe une certaine convergence des fonctionnalités offertes par les technologies, couplée à un essor sans précédent de l’informatique connectée en mobilité, la ligne de démarcation entre services en présence et services à distance tendrait à s’estomper… Comme l’ont souligné les intervenants danois et allemand, le chat vidéo et/ou les wébinaires figurent en bonne place dans les perspectives de développement à court terme… et si le service est de bonne qualité, les « défauts » de la distance se trouveront minorés : la communication non verbale sera réintroduite et le conseiller pourra s’adresser plus facilement à un collectif (le jeune et sa mère, ou même un groupe d’élèves par exemple). On irait donc vers plus de porosité et une meilleure hybridation des services… »

Des services à distance intégrés ou juxtaposés ?

« La genèse de ces nouveaux services d’orientation à distance varie d’une configuration nationale à l’autre. Dans les 3 exemples présentés toutefois, ils sont centralisés. Mais ils ne sont pas « intégrés » pour autant et leur déploiement semble assez révélateur des cultures professionnelles existantes ».

« Au Danemark, ils émanent d’un nouveau service, eVejledning, dont la mission est complémentaire de celle des centres municipaux qui ciblent les jeunes à la sortie de l’enseignement obligatoire et des centres régionaux qui s’adressent à ceux désirant entreprendre des études supérieures. Les prestations sont assurées par 14 conseillers à plein temps basés à Copenhague et 20 conseillers à temps partiels travaillant dans les autres centres, sur tout le territoire. L’ensemble de ces services relèvent de la compétence des Ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, garants de la cohérence globale ».

« En Allemagne, les services d’orientation relèvent du Ministère de l’emploi et sont sous la responsabilité de l’Agence fédérale pour l’emploi : c’est cette agence qui coordonne pour toute l’Allemagne approximativement 3000 conseillers répartis dans plus de 180 centres d’information sur les carrières, qui gère les différents plateformes nationales adressées à tel ou tel public et qui se porte garant de la cohérence et de la qualité de l’offre de prestations ».

« En France, il n’existe pas d’instance centrale à qui incombe la responsabilité des services de l’orientation, mais une myriade de centres dont les périmètres se chevauchent (CIO, CRIJ et autres BIJ, missions locales, SCUIO-IP, etc.), relevant des ministères de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la jeunesse, de l’emploi… C’est donc l’Onisep, seul organisme porteur d’une dimension nationale, qui a été mandaté par le MEN pour porter le projet MOEL (MonOrientationEnLigne). Traditionnellement chargé de publier et de diffuser la documentation à la fois imprimée et numérique relative aux formations et aux métiers, l’Onisep développe désormais aussi des services à destination des élèves et des classes (avec le Webclasseur par exemple). Pour MOEL, les “conseillers” spécialement recrutés n’ont pas un profil de professionnel de l’orientation, mais de recherchiste : ils sont avant tout agiles avec les technologies numériques, sont titulaires d’un diplôme de niveau master et ont reçu une formation échelonnée sur 6 mois les sensibilisant aux questions d’orientation scolaire et professionnelle. Et le service a été conçu, non pas en articulation avec l’existant, mais en juxtaposition avec cet existant. Le modèle est-il viable ? Aujourd’hui, les 50 conseillers recrutés ne suffisent plus pour répondre à la demande et les ministères ne sont pas enclins à continuer à recruter… Difficile d’associer a posteriori à cette dynamique des personnels de l’orientation qui pourraient assez légitimement rétorquer que ce n’est pas leur métier… » (...)

Conseiller à distance : un nouveau métier ou un métier qui évolue ?

« Au delà des aspects purement structurels, se pose la question des personnes délivrant ces prestations à distance et de leur professionnalisation. Bien évidemment, je serai tentée de dire que c’est le métier de conseiller qui évolue, mais les configurations actuelles n’apportent pas de réponse aussi tranchée… Le changement de pratiques est aussi une question de temps, il ne se décrète pas, ne s’impose pas. » (...)

« Car passer de la présence à la distance ne va pas de soi. Et il ne s’agit pas seulement de savoir comment fonctionne techniquement un programme de chat… Le media change le code, la communication doit s’appuyer sur d’autres ressorts que ceux habituellement sollicités en présentiel. La communication écrite rigidifie facilement les propos, donne un poids aux mots qu’ils n’auraient pas nécessairement à l’oral. Le conseiller doit veiller à montrer qu’il est à l’écoute, et à faire preuve d’une certaine empathie, pour ne pas perdre le contact avec le jeune. Un usage raisonné des émoticônes par exemple, peut jouer cette fonction phatique ».

« Les services à distance, parce qu’ils permettent de s’affranchir des unités de temps et de lieu, induisent aussi des changements d’organisation. Il s’agit alors d’être plus “accessible”, pour répondre à des demandes qui peuvent être exprimées à tout moment, depuis n’importe quelle région, voire depuis n’importe quel pays. MOEL a ainsi une petite partie de son public qui n’est pas localisée sur le territoire français. Au Danemark, l’amplitude horaire des services est forte, jusqu’à 22 h en semaine et 20h le weekend (samedi et dimanche) ».

« Ça peut par ailleurs sembler trivial, mais l’écrit prend plus de temps que l’oral… Et la communication à distance, en plus de laisser des traces, suscite aussi une sorte d’urgence : il faut être réactif. Les professionnels savent mener un entretien en présentiel, ils en connaissent les étapes, la durée… mais à distance, comment s’y prendre ? Ces nouvelles prestations à distance ont besoin d’être “encadrées” : en France et au Danemark, des chartes ont été adoptées, pour standardiser a minima le travail des conseillers. Tout se passe comme si le numérique portait de nouvelles exigences, notamment en matière de concertation interne : il importe de construire des outils d’évaluation et de développer une démarche qualité qui fournira des éléments de cadrage nécessaire (charte, normes, etc.) auxquels tous pourront se référer. Et ces exigences ne sont pas simplement de l’ordre de la compétence technique. Le numérique n’implique-t-il pas aussi un renouvellement des connaissances de la part des professionnels ? » (...)

Et Laure Endrizzi de conclure ainsi : « Faut-il dès lors opter pour une spécialisation des conseillers à distance ou bien miser sur la convergence des fonctions ? Sans doute n’y a-t-il pas définitivement une “bonne pratique” et une moins bonne… juste des configurations qui sont le fruit de cultures professionnelles plus ou moins “plastiques”, plus ou moins réceptives collectivement aux demandes désormais plus hétérogènes des usagers. Mais les relations entre numérique et orientation commencent à peine à infuser… et les perspectives sont nombreuses ! »