Il éclaire par le menu, au ras du quotidien des deux services, un pan bien peu reluisant de l'histoire de la Collaboration active, organisée et durable entre l'État français − et donc entre ses ad-mini-strations − et le système nazi de la Solution finale.

Extraits

Quelles furent les logiques de fonctionnement quotidien des bureaucrates, dans leurs bureaux ? Comment les cadres intermédiaires et les agents d'exécution perçurent-ils et se réappproprièrent-ils des mesures exceptionnelles imposées par les autorités occupantes et le gouvernement français ? Par quels processus et selon quelles conditions un Etat moderne, confronté à une situation d'occupation étrangère, de crise nationale et de surpopulation de l'activité bureaucratique, est-il amené à soumettre une catégorie de sa population à des mesures de persécution systématiques et dégradantes pour ceux qu'elles visent ? Comment une politique raciale se fonde-t-elle en droit et peut-elle être imposée à des centaines de milliers d'individus jusqu'alors considérés par les pouvoirs publics comme partageant simplement des traditions religieuses et culturelles différentes ? De quelles manières ces mesures sont-elles légitimées par les autorités et instituées en normes administratives ? (page 12)

On découvre la grande similitude entre les procédés utilisés entre 1941 et 1944 à Paris et ceux des tribunaux de l'Inquisition ibérique (1480-1834). Mais aussi les tensions entre les ad-mini-strations existantes épurées de leurs salariés jugés déloyaux et les services spécialisés recrutant, hors de la fonction publique, des partisans politiques.

Plus sidérant encore, vu le poids des contraintes réglementaires et de la surveillance des autorités allemandes, mais finalement phénomène assez compréhensible pour ceux qui ont une expérience de l'ad-mini-stration en temps de paix, les employés du bureau 91 à la préfecture de police de Paris garderont jusqu'au bout une grande marge d'interprétation dans l'application des consignes.

Enfin, comme à l'accoutumée, un certain nombre de cadres ad-mini-stratifs auront saisi les opportunités pour s'auto-promouvoir. Un exemple glaçant : alors que les autorités allemandes et françaises ne le lui avaient pas demandé, la préfecture de police de Paris, par excès de zèle sans doute, publiera le 1er mars 1942 cet avis aux conséquences létales et irrémissibles pour des milliers d'enfants juifs : "Il est prescrit à tous les juifs français et étrangers ayant un ou plusieurs enfants âgés de moins de quinze ans, que ces derniers soient juifs ou non juifs, d'en faire la déclaration".

Le 16 juillet 1942, ce fut la rafle du Vel d'Hiv' et l'arrestation par surprise, puis la déportation et a la mort de plus de treize mille Juifs parisiens de 2 à 60 ans. ■