Selon les informations fournies par l'Union nationale des étudiants de France (UNEF), relayées par Le Monde, et non contestées par le ministère de l'enseignement supérieur, près de 20% des étudiants vivent, en France, en dessous du seuil de pauvreté. Et un étudiant sur quatre estime avoir des difficultés financières. Soit environ 700.000 jeunes ! Rappelons que le seuil de pauvreté est estimé par l'INSEE, pour une personne seule, à 987 euros par mois. Et 5% des étudiants, soit de l'ordre de 135.000 étudiants, sont, selon l'Observatoire de la vie étudiante (OVE), en situation de grande précarité (moins de 400 euros par mois).

Que fait la majorité d'entre eux pour tenter de s'en sortir ? Habiter chez les parents ? Mais quand la famille réside loin, que faire ? Et est-ce le meilleur moyen de vivre en adulte de manière autonome, non assistée, responsable ? Demander de l'aide financière aux parents ? Mais les pouvoirs publics feignent d'ignorer que nombre d'étudiants de l'université sont aujourd'hui issus de familles modestes n'ayant par les moyens d'intervenir financièrement pour soutenir leurs enfants. Trouver un travail rémunéré ? Près de la moitié des étudiants ont une activité rémunérée. Parmi ceux et celles qui exercent une activité rémunérée, la moitié exerce cette activité plus de 6 mois par an, et 34% l'exercent à temps plein. Selon l'OVE, la durée moyenne mensuelle de cette activité rémunérée est de 26 heures par mois. Et plus la durée de travail rémunéré est longue, plus elle impacte la réussite universitaire. Outre la pression à réussir et la honte subie par ces jeunes de passer à côté de quelque chose de spécifique à la vie étudiante, d'être en décalage avec d'autres camarades plus nantis, la précarité touche l'ensemble de l'activité de la journée : absence aux cours, dégradation de l'état de santé, troubles du sommeil, stress, état psychique aléatoire et parfois gravement perturbé.

Nous sommes-nous suffisamment arrêtés sur les conditions réelles, quotidiennes, dramatiques, indécentes de la vie des étudiantes et des étudiants précaires ? Voyons-nous bien à quelles pressions familiales, personnelles, économiques, sociales, financières, psychiques ils sont exposés ? Et jusqu'où pourra-t-on accepter les inégalités croissantes et criantes entre les étudiants pré carré et les étudiants précaires ? Ce n'est pas un enfant de ministre, de chef d'entreprise, de médecin, d'ingénieur ou d'expert-comptable qui s'est immolé le 8 novembre sur son lieu de travail... Ce n'est pas non plus un étudiant de classe préparatoire aux grandes écoles, de l'ENA, de l'ENS, de Sciences Po, de médecine ou de Sup de Co, lesquels, la plupart du temps, sont très largement soutenus affectivement, stratégiquement et financièrement par leurs familles (et par le contribuable) et savent, par conséquent, quel retour sur investissement ils peuvent attendre de tel ou tel type d'études universitaires... Non, c'est un étudiant d'histoire, dans une université de Lettres et Sciences humaines, les plus dévalorisées des études universitaires en France, aujourd'hui. Et rien que cela devrait nous faire réfléchir, et rien que cela devrait conduire les pouvoirs publics à l'action. Quand le ministre de l'éducation nationale Jean-Michel Blanquer déclare sur France info le 15 novembre « On est conscients qu’il y a de très gros progrès à faire, ce drame nous le rappelle », on attend mieux et davantage d'un gouvernement pour sa jeunesse. Où en est-on de la création d'un revenu universel remis à chaque personne à l'âge de sa majorité (18 ans) ? De la revalorisation significative des bourses ? De la gratuité des frais d'inscription ? Du déploiement de logements décents à moindre coût ? De la reconstruction d'un service public d'orientation et de psychologie du lycée au post-Bac à hauteur des enjeux (alors que, pierre à pierre, on le démantèle méticuleusement) ? Arrêtons de focaliser les aides publiques, le regard complaisant et les subsides sur les premiers de cordée, et préoccupons-nous enfin des deuxièmes, des troisièmes et des derniers de cordée. Car sans eux, la cordée ne tient pas et se rompt.

Ce billet a été modifié le 23 janvier 2020

Pour aller plus loin

Observatoire de la vie étudiante 2016), Enquête sur les conditions de vie des étudiants. La prochaine enquête quadriennale de l'OVE sera publiée en 2020

Béduwé C., Berthaud J., Giret J.-F., Solaux G. (2019), Salariat étudiant, parcours universitaires et conditions de vie, La Documentation française