Climat : une crise peut cacher une grande transition [3/3]
Par Jacques Vauloup le samedi 13 juin 2020, 03:50 - Anthroposcènes - Lien permanent
Pour Baptiste Morizot, la crise écologique est une crise des vivants : 6è extinction des espèces, défaunation, climat chamboulé. Mais c'est aussi "une crise de nos relations au vivant, de la sensibilité". Il nous invite à une
cosmopolitesse
, à réactiver notre sensibilité et notre reconnaissance envers tous les êtres vivants : végétaux, animaux, humains. Il s'agit de retrouver et d'inventer les égards ajustés entre les autres formes de vie qui font le monde, d'être enfin un peu cosmopoli
.
Soyez polis
Soyez polis / Crie l'homme / Soyez polis avec les éléments avec les éléphants / Soyez polis avec les femmes / Et avec les enfants / Soyez polis / Avec les gars du bâtiment / Soyez polis / Avec le monde vivant
Il faut être aussi très poli avec la terre / Et avec le soleil / Il faut les remercier le matin en se réveillant / Il faut les remercier / Pour la chaleur / Pour les arbres / Pour les fruits / Pour tout ce qui est bon à manger / Pour tout ce qui est beau à regarder / À toucher /
Il faut les remercier / Il ne faut pas les embêter… les critiquer / Ils savent ce qu'ils ont à faire / Le soleil et la terre / Alors il faut les laisser faire / Ou bien ils sont capables de se fâcher / Et puis après / On est changé / En courge / En melon d'eau / Ou en pierre à briquet / Et on est bien avancé… Le soleil est amoureux de la terre / La terre est amoureuse du soleil / (…)
Il faut que tout le monde soit poli avec le monde ou alors il y a des guerres… des épidémies des tremblements de terre des paquets de mer des coups de fusil… Et de grosses méchantes fourmis rouges qui viennent vous dévorer les pieds pendant qu'on dort la nuit.
Jacques Prévert, Oeuvres complètes 1, NRF-Gallimard La Pléiade, 1992, pages 823-824
Bonjour au monde !
Pardon de vous déranger/
J'ai parcouru la moitié du monde : Thaïlande, Birmanie, Malaisie/
Je dis bonjour aux animaux d'Asie, aussi au petit monde marin, aux animaux de la jungle, aux animaux d'Afrique/
Et, pour finir, aux animaux d'Océanie, et aussi aux animaux d'Amérique/
Bisous au petit monde des animaux/
Je voulais vous écrire pour vous dire que le monde est une beauté qui s'intille/
Si nous respectons la nature, le monde sera mille fois mieux/
Suzanne (1), six ans et neuf mois, a écrit ce poème si résonant Bonjour au monde !
en mai 2018, quelques jours après son retour d'un périple enchanté de trois mois en Thailande, Birmanie et Malaisie, accompli avec ses parents et sa soeur aînée. Amoureuse permanente et attentionnée du vivant sous toutes ses formes, elle aura pris soin de remercier les vivants. Une reconnaissance si touchante... Récemment, elle a inventé le terme de pollument, qui, pour elle, constitue un raccourci entre pollution et confinement. Sidérant. En un mot, tout est dit.
Il est cinq heures du matin, j'entends Daria qui souffle sur les braises pour rallumer le feu. Je me lève de ma couche enroulée dans une couverture, j'enjambe le corps des garçons allongés sur les peaux par terre, je m'assieds sur le petit tabouret à côté d'elle face au poêle. Nous attendons en silence ; l'eau frémit enfin. Le thé brûlant réchauffe nos corps. Puis elle lève les yeux vers moi, elle sourit dans la pénombre, un sourire sobre et timide, un sourire plein d'amour. Elle chuchote : Parfois, certains animaux font des cadeaux aux humains. Lorsqu'ils se sont bien comportés, lorsqu'ils ont bien écouté tout au long de leur vie, lorsqu'ils n'ont pas nourri trop de mauvaises pensées. Elle baisse les yeux, soupire doucement, relève la tête, sourit encore : Toi, tu es le cadeau que les ours nous ont fait en te laissant la vie sauve
(page 108).
Baptiste Morizot : Il nous faut inventer les règles d'une cosmopolitesse pour partager cette bonne vieille Terre
(p. 148). En effet : À quoi ressemble une vie humaine, l'expérimentation qu'est la vie, lorsque l'ego ne se pense plus comme un maître dominant d'une main de fer des pulsions dévitalisées, mais comme un collectif étrange avec des animaux sauvages et pleins de vie ?
(p. 189)
(1) Suzanne est un prénom d'emprunt, à la demande de la principale intéressée.
Ce mot a été amodié le 16 juin, le 1er juillet et le 26 juillet 2020, puis le 7 mars 2023
Pour aller plus loin
La Hulotte, le journal le plus lu dans les terriers
Wallenhorst N., Pierron J.-P. (dir.), Eduquer en anthropocène, éditions Bord-de-l'eau, novembre 2019
Urgence écologique, un défi pour l'école, Cahiers pédagogiques, n°560, mars 2020