Spécialiste de géographie urbaine, professeur d’études urbaines à l’École normale supérieure de Lyon, Michel Lussault travaille sur la relation des individus à leurs espaces de vie. Après avoir été président du Conseil supérieur des programmes de l’Éducation nationale et directeur de l’Institut de l’Éducation, il dirige depuis 2017 l’École urbaine de Lyon. Son dernier ouvrage Hyper-lieux (Seuil, 2017) porte sur l’uniformisation du monde et les résistances qui se créent face à l’homogénéisation de nos sociétés.

10 principaux enseignements de géo virale

1. Nos vies sociales d'humains sont entrelacées avec toutes les autres formes de vie, notamment animales, avec lesquelles nous sommes contraints de composer. Qu'on le veuille ou non, il va nous falloir faire avec.

2. D'une puissance géopolitique inouïe, le virus travaille le monde : fermeture des frontières, confinements, mobilités aériennes interrompues, économie à la ramasse. Tout est désormais inter-relié, plus rien n'est insignifiant. Un organisme minuscule mais un méga-opérateur.

3. Le virus prospère là où les concentrations humaines et urbaines sont les plus fortes. Le virus joue de l'hyper-spatialité du monde contemporain. C'est elle qui a assuré le succès du virus.

4. Ce qui fait l'incroyable succès du virus alors qu'il semble d'une relativement faible létalité, c'est son rythme spatio-temporel, sa cinétique, son pouvoir d'accélération. C'est un cohabitant pressé de ce monde pressé. Nous nous croyions puissants, à l'abri ; nous nous retrouvons vulnérables.

5. Le virus est doté d'une hyper-scalarité. Il est actif, synchroniquement, à toutes les échelles : micro-organismes, corps humain, aires urbaines, régions, États, monde. Mais aussi, il organise lui-même sa propre communication dans les médias : l'information s'emballe, se brouille, s'affole, sidère, tétanise.

6. Le virus permet une convergence spectaculaire entre le sanitaire (réparer, soigner) et le sécuritaire (surveiller, contrôler). Les politiques deviennent des biopolitiques. Assistons-nous à l'émergence d'une nouvelle doctrine urbaine de contrôle de la vie sociale et spatiale via l'assignation à domicile ?

7. L'être humain confiné, assigné à domicile est en manque, en déficit de relations d'indifférence, en perte de relations en public : travail, école, université, café, restaurant, cinéma, etc. Ce qui met en cause l'être humain en tant qu'être spatial et social.

8. Cinq facteurs expliquent les différences d'impact locales, régionales, nationales : le rôle majeur du tourisme et des grands hubs aériens, les caractéristiques sociodémographiques des populations (âge, comorbidité, structures socio-familiales), l'état du système de soins, la préparation/l'impréparation des pouvoirs publics et des sociétés, la configuration géographique des espaces (la mondialisation n'estompant pas les spécialités régionales et locales).

9. Nous devons apprendre à vivre avec ce virus. Comment, sans attendre tout de l'État, composer nos manières d'habiter la ville et nos territoires en tenant compte du virus et sans nous contaminer ? Serons-nous des cohabitants actifs, solidaires et non solitaires ? Prendre soin d'autrui : un véritable programme social et politique durable ?

10. Le masque me protège-t-il ou protège-t-il d'abord autrui ? Nous devons réhabiliter l'habitation humaine de Terre-Gaïa. Reconnaître notre vulnérabilité constante et généralisée, c'est se préparer à la catastrophe mieux que nous ne le faisons actuellement. Et augmenter nos capacités d'agir collectivement.

Pour aller plus loin

Lussault M. (2020), Chroniques de géo virale, éditions 205