Estivalement, l'inspecteur se veut veule, ne trouves-tu pas, cher-chère ami-e internaute ? Et Loulou, ne manquant ni de perspicacité ni d'à propos : "Veiller, ça rime avec surveiller". "Gloups" déglutit bruyamment papy en renversant une gorgée de café sur son bermuda. Et l'ancêtre indisposé par tant d'aplomb de botter carrément en touche : "Va jouer, tu as le droit de sortir de table... On en reparlera plus tard quand tu seras grande..." Comme les enfants sont impitoyables avec l'aïeul en vacances... Comme l'aïeul est transparent...

Alors, rien que pour Loulou et ses copains et copines, je m'autorise à tenter une esquisse de réponse moins dilatoire. Pour le cas où, dans dix ou quinze ans, ils seraient toujours intéressés par cette question si simple : "Dis papy, à quoi ça sert un inspecteur ?" (oui, bon, ne rêvons pas quand même...) et par une réponse qui se tienne un peu plus que celle que son aïeul lui donna estivalement un jour d'été 2013 entre la glace et le café. Eh oui, l'aïeul supporte tout, sauf d'être dérangé pendant son café-dessert... quand il est en congé estival.

En guise d'introduction à une série de 4 billets, une brève histoire de l'IEN-IO, inspecteur chargé d'information et d'orientation. Et oui, il faut te dire, ma Loulou, que dans cette douce France cher pays de mon enfance bercé de tendre insouciance, il est des inspecteurs un peu partout : des impôts, de la police, de l'armée, des eaux et forêts, de la santé, des affaires sociales, des prisons, du permis de conduire, etc.

À l'éducation nationale, trois grandes catégories : les inspecteurs généraux, placés auprès du ministre ; les inspecteurs d'académie inspecteurs pédagogiques régionaux, placés auprès du recteur dans une académie (ou une région si tu préfères) ; les inspecteurs de l'éducation nationale enfin, placés également auprès du recteur.

Parmi ces derniers, trois spécialités : les inspecteurs du premier degré (des écoles), les inspecteurs de l'enseignement technique (des lycées professionnels), les inspecteurs chargés de l'information et de l'orientation. Avant d'aller plus loin, je dois te dire, ma Loulou, quelque chose d'essentiel : tous les métiers sont ouverts aux femmes et aux hommes ; par conséquent, on peut rencontrer aussi des inspectrices, ne l'oublie pas. Elles sont d'ailleurs de plus en plus nombreuses, et c'est bien ainsi, mais encore très minoritaires (20% seulement des inspecteurs de l'académie de Nantes sont des inspectrices).

Pour ma part, je m'en tiendrai aux inspecteurs chargés d'information et de l'orientation (IEN-IO).

Une brève histoire des IEN-IO

Un conseiller en amont ou en aval du système ?

Pourquoi jusqu'en 1982 - ensuite, l'orientation se développera institutionnellement uniquement dans le réseau PAIO-Mission locale-Pôle emploi - la France a-t-elle historiquement décidé de situer l'orientation au cœur du système éducatif ? A l'origine de l'orientation, juste après la guerre de 1914-18, la 3ème République a décidé de construire un enseignement technique détaché du patronat (cf. les idées de Jean Zay et des mouvements de l'éducation nouvelle, notamment), lequel d'ailleurs, contrairement à l'Allemagne, ne se sentait pas prêt à endosser cette charge.

Poser le conseiller en aval du système, c'est soit l'assimiler sans distinction aux conseillers d'insertion (PAIO-Mission locale-Pôle emploi), soit l'assimiler à un "aiguilleur du ciel" (exemples : conseiller d'information version ONISEP ; conseiller en métiers porteurs, version adéquationiste court-termiste).

Poser le conseiller en amont du système -comme le choix en a été fait dans les années 1955-1960, soit au moment à la fois des Trente glorieuses (en période d'expansion économique inédite), et d'une démocratisation sans précédent (ou "démographisation", cf. Antoine Prost) de l'école- c'était poser que, là où une majorité de jeunes gens de la classe d'âge 13-16 ans (à l'époque), ou de 13-22 ans (aujourd'hui), étaient scolarisés, la question de l'orientation (information, dialogue, affectation, insertion, gestion de cursus, conseil, etc.) se posait d'abord "là". C'était poser aussi qu'il fallait en garantir la neutralité par la constitution de professionnels salariés d'un service public et suffisamment indépendants des pressions locales ou de certaines organisations professionnelles patronales (cf. "L'Etat, les patrons et la formation des jeunes", par Gilles Moreau, La Dispute, 2002).

Sommes-nous (étions-nous) des inspecteurs comme les autres ?

1. Les inspecteurs départementaux de l'enseignement technique (1925).

De qui sommes-nous les héritiers ? L'inspection des services d'orientation professionnelle a été créée par l'arrêté du 28 janvier 1924. Le premier inspecteur général des services d'orientation professionnelle est créé par la Loi de finances du 19 décembre 1926 et rattaché à la direction de l'enseignement technique du ministère de l'instruction publique. Le premier inspecteur fut Julien Fontègne.

En 1921, on crée les premiers inspecteurs départementaux et régionaux de l'enseignement technique, sur le mode des conseillers de l'enseignement technique actuels (professionnels bénévoles issus de l'industrie, de l'artisanat, du commerce, nommés pour 4 ans renouvelables). Le rôle des inspecteurs départementaux est notifié dans la circulaire du 17 décembre 1925 : "L'inspecteur départemental de l'enseignement technique reste en contact permanent avec les organismes d'orientation professionnelle, fait partie des commissions locales chargées de donner des directives aux orienteurs, sert d'intermédiaire entre les exploitations industrielles et commerciales et les offices d'orientation professionnelle, principalement en ce qui concerne les renseignements d'ordre technique qui sont indispensables pour bien s'orienter ; s'assure, lors de ses inspections des cours professionnels, que les apprentis ont été rationnellement dirigés, et signale aux services compétents ceux qui, pour une raison ou une autre, ont besoin d'être réorientés". Au début, les inspecteurs actuellement chargés d'information et d'orientation furent des inspecteurs de l'enseignement technique…

2. Les secrétariats départementaux ou inter-départementaux d'orientation professionnelle (1939).

Le décret-loi du 24 mai 1938 décrit ainsi les missions du secrétariat départemental d'orientation professionnelle : coordonner les travaux des centres d'orientation d'orientation professionnelle (le décret-loi de 1938 transforme les offices d'orientation professionnelle créés en 1922 en centres d'orientation professionnelle), et en contrôler le fonctionnement ; assurer, avec la collaboration de l'inspecteur de l'enseignement technique, la liaison de ces centres avec les écoles et les offices de placement ; confier des missions d'orientation professionnelle à des médecins ; sur attestation des centres d'orientation professionnelle, délivrer les certificats d'orientation professionnelle (qui deviendront plus tard les avis circonstanciés d'orientation, supprimés par la loi Seguin sur l'apprentissage de juillet 1987, gouvernement Chirac).

Le décret du 2 septembre 1939 y ajoute la mission de documentation : posséder des monographies professionnelles sur tous les métiers du commerce, de l'artisanat, de l'industrie, de l'agriculture ; communiquer aux centres d'orientation professionnelle des renseignements sur les écoles. Le secrétariat d'orientation professionnelle est assuré par un secrétaire d'orientation professionnelle rémunéré par l'Etat. Il établit chaque année un rapport sur l'activité des centres d'orientation professionnelle du département.

3. Le statut des conseillers d'orientation scolaire et professionnelle et les inspecteurs de l'orientation professionnelle (1955).

Le décret du 10 octobre 1955 scolarise l'orientation (il est intéressant d'observer qu'Antoine Léon publie en 1957 son excellente "Psychopédagogie de l'orientation professionnelle") et fonctionnarise ses personnels. Deux corps de fonctionnaires sont en effet créés : les inspecteurs d'orientation professionnelle (recrutement par concours ouvert aux directeurs et conseillers), le corps des conseillers d'orientation scolaire et professionnelle et directeurs. Le statut des inspecteurs d'orientation professionnelle est défini dans la circulaire du 6 avril 1956 : "Ils ont pour mission, sous l'autorité du recteur, de coordonner les travaux des centres publics d'orientation professionnelle, d'en contrôler le fonctionnement, et d'assurer la liaison de ces centres avec les établissements d'enseignement, les services et organismes chargés du placement et de la formation professionnelle, et les organismes de sélection et de documentation".

Plusieurs différences avec les secrétaires d'orientation professionnelle antérieurs. Notamment : l'inspecteur est placé directement sous l'autorité du recteur ; il ne dépend plus de l'inspecteur principal de l'enseignement technique, ancêtre de l'actuel chef des services académiques d'information et d'orientation (CSAIO) (Ndlr : il faudra attendre le décret du 16 juillet 1990 pour le réaffirmer) ; les fonctions de l'inspecteur sont à la fois techniques et administratives, mais seulement à un niveau fonctionnel, ce qui laisse au recteur et à l'inspecteur d'académie (directeur académique des services de l'éducation nationale) leurs responsabilités hiérarchiques à l'égard des personnels et des services.

4. Le décret du 7 juillet 1971 et l'apparition de l'inspecteur de l'information et de l'orientation (1972).

Dans le contexte post-1968 de la Nouvelle société du 1er Ministre Chaban-Delmas et de son conseiller Jacques Delors, le décret du 7 juillet 1971 crée les actuels centres d'information et d'orientation (CIO) et les conseillers d'orientation ; la circulaire du 13 décembre 1971 définit les fonctions du CSAIO et les missions du SAIO (avec 6 missions originelles : observation et étude, conseiller technique, relations, coordination et harmonisation).

Dès le début des années 1970, on demande aux IIO de collaborer à la constitution et à la mise à jour du fonds documentaire des CIO, de favoriser la "remontée de l'information" des CIO vers la DRONISEP, de participer à la mise au point des modalités de consultation du fonds documentaire de la DRONISEP par les CIO, d'animer et de contrôler la mise en service par les CIO des moyens d'information élaborés par l'ONISEP. D'après le statut de 1972, les IIO conservent un rôle propre défini ainsi : "Les IIO concourent à l'animation, à la coordination et au contrôle des actions d'observation, d'information et d'orientation du ministère de l'éducation nationale". Mais, dans ce système de 1971-1972, l'IIO apparaît comme l'agent d'animation active d'actions décidées, organisées, et harmonisées au niveau du CSAIO.

5. Les circulaires du 27 juillet 1973 et la départementalisation de l'IIO.

À peine deux ans après les textes de 1971-1972, les circulaires du 27 juillet 1973 vont modifier le rôle de l'IIO, et départementaliser ses missions. Quatre circulaires sont produites le 27 juillet 1973 : circulaire relative aux procédures d'orientation dans le second degré de l'enseignement public ; circulaire relative aux procédures d'affectation dans le cadre des nouvelles procédures d'orientation ; circulaire relative à la fonction de professeur-correspondant (Ndlr : le futur "professeur délégué à l'information") ; circulaire relative au rôle de l'inspecteur de l'information et de l'orientation dans le cadre des nouvelles procédures d'orientation.

L'IIO se voit confier un rôle central d'organisation et d'animation, puisqu'il apporte "son appui technique" à l'inspecteur d'académie et "anime l'ensemble des opérations d'information et d'orientation, en liaison avec les services concernés de l'inspection académique".

Quatre rôles principaux lui sont dévolus :

(a) L'observation des élèves : l'IIO est chargé d'animer des séances de travail ayant pour but d'étudier "les méthodes d'observation des élèves, notamment lors du passage d'un cycle à l'autre, la détermination des critères qui seront retenus pour les travaux des différents conseils et commissions".

(b) L'information : l'inspecteur coordonne l'action des personnels des CIO et "contrôle le déroulement des opérations d'information, notamment l'application de la circulaire du 8 juin 1971 relative à la programmation de l'information dans les établissements du second degré" Souvenir personnel : je me souviens que, dans les années 1987-1990, le projet d'établissement à peine naissant, je travaillais avec les tout nouveaux établissements scolaires devenus "Etablissements publics locaux d'enseignement" (EPLE) sur une lecture réflexive et pédagogique des "programmes d'information" des établissements, et ce, bien avant l'éducation à l'orientation (1996), en m'appuyant sur la circulaire de juillet 1971 : cela surprenait certains collègues, ils ont quitté depuis longtemps l'orientation…

(c) L'orientation et l'affectation : l'inspecteur participe à l'établissement du calendrier, à la répartition des tâches, à la mise au point des instructions et veille au bon déroulement des opérations d'affectation. A ce titre, il anime le service spécialisé de l'inspection académique (devenue "direction des services académiques de l'éducation nationale" depuis le 1er janvier 2013).

(d) L'analyse de la situation scolaire : l'inspecteur procède à cette analyse afin de "cerner de plus près le fonctionnement de l'orientation et de l'affectation, d'informer les responsables de l'orientation, d'aider les chefs d'établissement à déterminer la politique de l'établissement en matière d'orientation et en évaluer les résultats". Ces fonctions constitutives, à la fois techniques et administratives, expliquent le choix de l'inspecteur de l'information et de l'orientation pour les remplir, et sa mise en résidence départementale auprès de l'inspecteur d'académie.

6. Le décret n°90-675 du 18 juillet 1990, et l'IEN-IO

Outre la question de la "culture commune" aux corps d'inspection, de l'expansion exponentielle de la fonction "évaluation", le décret n°90-675 du 18 juillet 1990 portant statuts particuliers des IA-IPR et IEN identifie, pour la première fois dans l'histoire des services et personnels de l'orientation, la fonction "inspection des personnels".

Je n'en dirai pas plus sur un texte bien connu. Seulement ceci : les inspecteurs en orientation, qui ont si peu utilisé les leviers que leur donnait pourtant depuis longtemps le système éducatif -"observation des élèves" et pédagogie différenciée, ingénierie de l'orientation, évaluation des projets de CIO, d'EPLE, formation des personnels éducatifs, recherche de la valeur pédagogique ajoutée des Forums, etc.- ont été les premiers à réclamer à cor et à cris l'inspection des conseillers d'orientation-psychologues, et ce, sans aucune réflexion sur la posture de l'inspecteur, la déontologie de l'inspection, voire l'éthique même que recouvre la fonction "inspecter des personnes"… Libido dominandi… Et ceci : d'après le décret de juillet 1990, les conseillers d'orientation (ils deviendront conseillers d'orientation-psychologues en 1991) sont inspectés par les IEN-IO et les directeurs de CIO par les IA-IPR. Nous reviendrons là-dessus dans un prochain billet.

Quand on fait un petit détour par l'histoire des inspecteurs de l'orientation, on s'aperçoit que ce qui nous arrive est en filiation avec l'histoire du système éducatif et l'histoire économique et politique : si les inspecteurs de l'orientation ont bien été les derniers des inspecteurs à avoir été créés à l'éducation nationale, il n'empêche que cela a du sens référé soit à la période originelle de l'orientation professionnelle (des années 1920 au milieu des années 1950), soit à celle de l'orientation scolaire, qui lui a succédé à partir du début des années 1960.

Notre place dans le système éducatif, pourtant récente, n'a cessé d'évoluer : initialement départementale, puis académique, ensuite départementale puis académique... et demain ?

Selon les époques, les politiques éducatives, les managements locaux ou les manières d'agir de tel ou tel inspecteur, le métier d'inspecteur chargé d'information et d'orientation a pu prendre des facettes nuancées.

Mais toujours, et nous y reviendrons dans un prochain billet, l'action spécifique des inspectrices et inspecteurs en orientation s'est concentrée autour de 6 points nodaux :

- Analyse du système éducatif et des parcours des élèves

- Analyse des parcours des jeunes de l'école à l'emploi

- Procédures d'orientation et d'affectation des élèves

- Pédagogie de l'information et de l'orientation

- Animation et évaluation des CIO et des personnels

- Insertion sociale et professionnelle des jeunes

Aujourd'hui, au moment même où, à l'âge de 18 ans, près de 80% d'une classe d'âge (cf. Repères et références statistiques, MEN, décembre 2012, page 26) est encore scolarisée en formation initiale sous une forme ou sous une autre (apprentissage inclus), il serait pour le moins paradoxal que l'orientation se décalât vers la gestion d'un simple ajustement mécaniste, souvent illusoire, entre un "profil d'individu" et un "profil de poste". Ce qu'elle fut au début du XXème siècle.

Ce modèle adéquationniste court-termiste n'a plus de sens aujourd'hui. Nous en reparlerons dans un prochain billet.■