De l'âge d’or des centres d’orientation au tournant des années 1960 jusqu’à leur « déclin » aujourd’hui, il faudra peut être un jour faire une histoire de l’orientation qui retrouve dans la prophétie initiale de ses promoteurs son inversion programmée !

Cet historique «critique » serait sûrement bien intéressant et il éclairerait sans doute sur de nombreux points, et par contraste, les problèmes posés aujourd’hui aux services publics d’orientation de l’Education nationale. Je vous proposerai plus simplement deux petites réflexions.

Après une phase de construction et d’expansion des services publics, dans la France des Trente Glorieuses, on assiste depuis 2009 à un retournement complet de la situation, au point que si le mouvement continue ainsi, nous retrouverons la carte des CIO des années 1950 (189 CIO en 1954), à ceci près que si cette carte devait voir le jour, elle consacrerait l’effacement de l’idée même de "service public" et la promotion très européenne de la notion de "service universel".

Pourquoi ? Le service public français au sein duquel l’orientation prend forme au début des années 1920 a été pensé autour de quelques idées fondatrices comme celles de solidarité, de gratuité, d’appartenance à la collectivité, de citoyenneté, d’égalité… C’est la préoccupation d’une «société de semblables » selon la belle expression de Léon Bourgeois, et la référence à un « bien commun », rattachant chacun à la collectivité nationale, rappellant en permanence à chacun sa citoyenneté, qui est alors affirmée.

C’est ce système, dont le premier Ministre aime à rappeler qu’il est issu du Conseil National de la Résistance, qui est en train de se défaire. La Crise et le triomphe d’un certain type de modèle économique fondé sur le dogme de la croissance et le productivisme ont conduit à un recul de l’intervention de l’Etat dans tous les domaines, et notamment dans celui de l’orientation. L’orientation, au risque de la caricature est devenue un produit de consommation. Et l’offre d’orientation dans sa version « service public » s’est structurée quasi exclusivement autour de l’emploi, des débouchés et des métiers, occultant par là même la complexité d'une orientation initiale fondée sur les idées de développement, d’accompagnement, de conseil… La donnée éducative au sens de Roger Gal, qui, un temps, a été une préoccupation de l’Ecole et notamment au moment de sa démocratisation (toujours pas résolue d’ailleurs), est reléguée au second plan.

Dès lors, il ne faut pas s’étonner de ce que l’orientation ait été détournée de sa mission éducative (prévention, adaptation, accès au savoir, enrichissement des représentations…) pour devenir l’outil de la régulation des flux et l’instrument de la bataille pour l’emploi au cœur de laquelle on retrouve la question des décrocheurs.

Avec le service universel européen, ce sont les publics défavorisés, les décrocheurs qui sont devenus « la cible » du service public pour des raisons de cohésion sociale parfaitement bien analysées par Roger Castel. Le risque dans cette affaire, c’est que se dessine une sorte de «régime du pauvre » qui assurerait aux plus démunis un service public peu financé et donc au rabais (un service minimum en quelque sorte), la demande solvable se réorientant vers les services payants.

Le deuxième point qu’il me semble intéressant de noter, c’est celui-là :

Nous assistons aujourd’hui à l’émergence de mouvements sociaux qui n’acceptent plus les inégalités, l’injustice, la pauvreté, qui aspirent à reconstruire du lien social, qui revendiquent une autre façon de vivre et de travailler. Si elles ne peuvent suffire à bâtir un autre modèle sociétal, ces initiatives peuvent être de bons repères pour l'action. Des « parcelles » d’humanité existent là qui se manifestent généralement sous la forme d’une aspiration profonde à échanger, à témoigner, à dire ce que l’on fait et à proposer des alternatives au prêt-à-agir (cf. les "bonnes pratiques"). De ce point de vue, il me semble que la question urgente n’est pas celle d’un ralliement au « fétichisme du signe » dont je parlais un peu plus haut, elle n’est pas non plus dans celle d’un aggiornamento. Non, la question est de savoir comment réussir à préserver un espace d’écoute, de dialogue, de délibération, de parole, d’échange propice à l’élaboration d’une démarche citoyenne, réflexive, compréhensive.

Sur le terrain, sur le nôtre, il y a des raisons d’espérer. L’énergie est là comme un vibrant appel à se réapproprier le monde; des collègues se mobilisent, se battent, d’autres ou les mêmes n’attendent pas que les politiques leur dictent leur façon de faire. Je pense à la lutte exemplaire des collègues de l’académie de Rouen qui refusent la fermeture de leur CIO. Je pense sur un autre registre à ces collègues du sud-ouest qui organisent au mois d’avril, à Pau une JRE (journée régionale d'études) interacadémique sur le thème de « L’analyse des pratiques » : une autre façon de se battre pour créer les conditions d’une prise en compte de l’expression collective, de l’échange, du Récit comme contrepoint de ce trop de « calcul » qui empêche les pratiques. Une manière aussi de créer les conditions de possibilité d’une réflexivité aujourd’hui niée, dévaluée.»