Dubet : Pour la génération 68, la liberté fut un combat. Pour les générations 98 et 2018, ce sera une épreuve ! (page 50) . Les enfants des années 1980 sont, pour l'essentiel, les enfants de la crise, des crises, des 80% au niveau Bac, et, pour une partie de plus en plus importante d'entre eux, la génération-galère. Soumises à l'emprise des écrans et du Marché, les jeunesses des années 2018 sont assujetties, de plus en plus tôt, à la performance et à la compétence. Comment ces contraintes leur permettent-elles de développer leurs individualités autonomes et singulières ? En quoi ne produisent-elles pas de nouvelles inégalités insurmontables ?

Y a-t-il vraiment une politique de la jeunesse en France ?

François Dubet : Y a-t-il des politiques de la jeunesse ? Ou prenons-nous une accumulation de mesures et de dispositifs pour une politique ? Contrairement aux pays scandinaves, la France n'a jamais choisi de politique de l'autonomie juvénile (pages 129-130). Et, page 131 : Au nom du mérite et de l'égalité, les politiques françaises de la jeunesse n'ont pas choisi le développement de l'autonomie des jeunes. Ils sont autonomes s'ils sont assez fortunés ou s'ils ont choisi d'emblée la bonne filière et la bonne formation. Les autres sont mal orientés, perdent leur temps, dépendent de leur famille, s'épuisent dans une insertion qui n'en finit pas et dans des petits boulots.

Tu dois réussir ta vie ! Enjointes, de plus en plus précocement, de réussir tout ce qu'elles entreprennent, et d'abord et avant tout à l'école, les jeunesses françaises ne sont pas considérées par les politiques publiques comme elles devraient l'être, et Louis Maurin, dans L'observatoire des inégalités, parle à ce sujet de l'hypocrisie française. Les inégalités se sont creusées, en France, entre les premiers de cordée autorisés à utiliser toutes les ficelles, toutes les ruses du parcours scolaire et universitaire, mais aussi toutes les opportunités du réseau social, économique et culturel pour se frayer un capital scolaire, économique et social qui les distinguera, à vie, et les jeunes galériens, décrocheurs, démunis de capital scolaire, sans réseau social, sans codes culturels et sans le sou. L'épisode Parcours sup de l'été 2018 en est une illustration limpide, où les happy few ont pu attendre jusqu'au bout, alors qu'ils avaient déjà une place assurée en classe préparatoire aux grandes écoles, qu'une place plus convoitée encore se libérât éventuellement, bloquant ainsi le système d'affectation pour les plus démunis. Plus qu'ailleurs, la France a fait le choix de lier le niveau de l'insertion professionnelle et des revenus du travail afférents au niveau de diplôme initial. Ce principe stresse enfants, parents et professeurs. Et surtout, il réussit à certains et nuit gravement à d'autres. Il est temps, en démocratie, de le remettre en question, tant il a failli.

Pour aller plus loin

Commentaires de l'ouvrage de François Dubet sur liens.socio

L'orientation des jeunes, par Cécile Van de Velde (vidéo, 5'50'', CESE, septembre 2017)

Maurin L. (2018), Les inégalités expliquées aux jeunes, Observatoire des inégalités

Ce billet a été mis à jour le 2 novembre 2018