Portrait des années troubles 1918-1939. Proclamé le 11 novembre 1918, l'armistice acte la défaite de l'Allemagne, qui sera humiliée par les Alliés au traité de Versailles (28 juin 1919) lequel constituera le point d'ancrage de la folle remilitarisation allemande et de ses suites belliqueuses dans les années 1930. Sous-officier de la marine du Kaiser et communiste, Hans Beimler refuse une mission absurde et participe à la mutinerie des marins de Kiel, prélude à l'effondrement de l'Empire allemand ; il mourra en 1939 dans les brigades internationales au siège de Madrid. Marina Yurlova, ex-enfant-soldat qui s'est battue pour le tsar, est sauvée par deux fois du peloton d'exécution par un officier tchèque et s'enfuit pour échapper à l'Armée rouge ; elle poursuivra sa vie comme danseuse à Los Angeles. La jeune Polonaise Apolonia Chalupiec – future Pola Negri – rêve à Berlin de devenir actrice. Le cinéaste Ernst Lubitsch lui donne sa chance en lui confiant le rôle principal de Carmen ; star du cinéma muet, elle peinera à se faire reconnaître lors de l'avénement du cinéma parlant, sera approchée par le pouvoir nazi, mais déclinera finalement cette offre après le double traumatisme vécu par les Polonais de l'invasion de la Werhmacht en septembre 1939 puis de l'invasion soviétique à la fin de la guerre. La nazairienne Marie-Jeanne Picqueray, qui a échappé à la grippe espagnole, monte à Paris pour fuir son mari violent ; anarchiste, son parcours la conduira à Moscou et la confrontera à l'appareil répressif soviétique. D'autres portraits ordinaires, tel un couple de médecins viennois lui juif, elle catholique, séparé par la folie meurtrière des nazis. Et d'autres encore, tous plus vrais, plus dramatiques ou tragiques les uns que les autres.

Que de destins brisés, de vies braisées, de rêves anéantis ! Avoir vingt ans en 1919, que l'on fût rescapé polytraumatisé de la Grande Guerre ou non, homme ou femme, prédisposait les jeunes à une soif de vivre furieuse et inextinguible, à prendre leur revanche à tout prix, à vouloir en finir avec leurs cauchemars et à refaire un monde tellement massacré, déboussolé, défait. Même si des soubresauts de l'entre deux-guerres allaient naître, dans la douleur, l'indépendance de nombreux Etats ainsi que les débuts d'une lente émancipation des femmes, cette jeunesse fut happée par la montée des utopies avortées - fascisme, soviétisme - et bientôt confrontée à un deuxième conflit mondial encore plus meurtrier que le premier. C'est la génération de nos parents, de nos grands-parents, de nos arrière-grands-parents pour les plus jeunes d'entre nous. Comment croire que ces rêves brisés, ces vies braisées n'aient pas eu un rôle dans les valeurs, les rêves et les vies de nos grands-parents, de nos parents et donc dans les nôtres ? Comment croire qu'ils n'aient pas aujourd'hui encore un rôle dans le nihilisme et le révisionnisme ambiants, dans la remise en cause actuelle de l'Union europenne, y compris dans les plus jeunes générations d'européens et d'européennes ? Une grande fresque historique cinématographique certes, où se mêlent habilement archives fabuleuses et inédites, et mises en scène actuelles. Mais aussi une grande méditation anthropologique, philosophique, politique. Ne pas la rater. La série est aussi disponible en DVD.