Entre catastrophisme éclairé et optimisme béat devant les miracles de l'adaptabilité des jeunes aux nouveaux usages sociaux, l'ACOP-France avait décidé de poser le curseur sur un pragmatisme réflexif, lucide et proactif. Pour illustration, la table ronde du 21 septembre réunissait, autour de la question Que nous apprennent les jeunes connectés ? Régine Pouyade, Carol Verdier et Nathalie Dupouy, psychologues au Centre d'information et d'orientation (CIO) de Saint-Brieuc, Martine Lerude, psychiatre et psychanalyste à Paris, et Benoit Lafont, développeur de jeux vidéo à Lannion. Le cas spécifique des jeux en ligne a été traité par les intervenants, ce qui en a fait sa grande richesse et son caractère inédit.

Que nous apprennent les jeunes connectés ?

Fascination ou réflexion adolescente pour les jeux en ligne ? Dans les interviews réalisées quelques semaines avant le congrès par les psychologues du CIO de Saint-Brieuc, la force de la réflexivité et de la lucidité des ados m'a frappé.

Extraits :

Nous les adolescents, on ne sait pas ce que représente le temps passé devant les écrans, il nous faut des adultes qui nous donnent des limites... Dans les jeux en ligne, on peut se faire des amis virtuels, on peut s'identifier à d'autres personnes... Il y a quand même des différences entre la vie normale et la vie dans les vidéos... Dans ma chambre, je passe mon temps à jouer, quand je joue, on ne me juge pas, on ne peut pas me voir (Jeune fille, 14 ans)... Sur Internet, je crée des choses avec d'autres personnes rencontrées par hasard sur Internet, j'y passe toutes mes soirées, je suis administrateur d'un service de jeux en ligne (Ewen, 16 ans)... Je passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux , je parle avec des amies, ce qu'elles font de leur vie, cela me prend beaucoup de temps, mais je suis seule (Célia, 13 ans)...

Qu'est-ce que tu fais avec ton jeu ?

La psychanalyste Martine Lerude et les collègues psychologues du CIO de Saint-Brieuc ont montré comment, dans la clinique de l'entretien, s'autoriser à poser cette question aux jeunes ouvrait, pour les cliniciennes, un lieu offrant un potentiel narratif de symbolisation, de mise en récit, un nouvel espace de rencontre avec les jeunes. Martine Lerude : Quel domicile subjectif l'adolescent peut-il créer ? Avec quels traits de l'idéal je pourrais aller dans le monde ? Le virtuel, c'est sérieux, mais pas totalement, on est dupes, mais pas complètement... Je suis seul.e, mais pas si seul.e... Alors, bien sûr, l'adolescence, c'est aussi l'arrivée de la psychose, des addictions graves. Mais ce n'est pas l'outil qui crée la psychose, c'est le psychotique qui utilise ce qui est là, la technique, le virtuel...

Et la psychanalyste d'ajouter : Le numérique est un outil merveilleux à portée de la main, de la voix et du regard. Comment s'en servir ? Comment en faire un outil dont nous disposons et non pas une servitude ? Nous avons tout à inventer avec les enfants et les ados. Dans le travail psychothérapeutique, dans le travail clinique, la question du rapport du virtuel à la fiction est une piste féconde qui permet de renouveler l'abord du fantasme et de la réalité psychiques. Pour le réussir, il faut une adresse à quelqu'un, soit un professionnel, soit un expert, soit quelqu'un d'autre.

Pour aller plus loin :

Lerude M. (2017), Du virtuel à la fiction, article dans Les écrans de nos enfants, Erès, 2017

Olry-Louis I., Guillon V., Loarer E. (2013) (dir.), Psychologie du conseil en orientation, De Boeck, 464 p.

Guichard J., Bangali M., Cohen Scali V., Pouyaud J., Robinet M.-L. (2017), Concevoir et orienter sa vie, les dialogues de conseil en life design, Editions Qui plus est, 196 p.