Dans la foulée de Eloge du carburateur, Lochmann livre là un récit d'apprentissage sensible, où la charpente, liée à l'exercice intellectuel, introduit à un art de vivre, mieux, à une philosophie du vivre.

Extraits

Il y maintenant 10 ans, dans une période de grande désorientation, je me suis inscrit en CAP de charpentier. (...) A bien des égards, l'apprentissage de ce métier ressemble à celui des autres artisanats : on y intériorise des gestes, une langue, des méthodes, des exigences, et cela prend du temps. Mais la charpente est aussi une activité à nulle autre pareille. On y travaille le bois, ce matériau inépuisable dont aujourd'hui encore on découvre de nouvelles caractéristiques. On mêle quotidiennement savoirs traditionnels et méthodes modernes pour construire de manière durable et écologique. On y vit dehors, par tous les temps.

Comme les vignerons ont la mémoire des climats qui ont fait chaque millésime, on se souvient des saisons. (...) Et, de tous les corps d'état du bâtiment, c'est le seul qui procure cette sensation première, essentielle, des espaces en train de prendre forme sous le ciel. C'est un métier immensément exigeant, une vie solide à laquelle on s'attache. (...) Dans notre modernité fragmentée, les expériences professionnelles les plus éloignées loin de s'opposer se complètent et s'enrichissent mutuellement si l'on parvient à leur donner du sens.

En ce qui me concerne, la charpente, qui n'était d'abord qu'un moyen de subsistance, a rapidement pris une tout autre place dans ma vie. Si je travaille régulièrement sur des chantiers de charpente depuis 10 ans, je ne suis pas "devenu charpentier" au sens où l'on endosse une identité et pratique un métier pour le reste de son existence. Mais en développant un rapport productif à la matière, en apprenant à inscrire mes actions dans la durée, en adoptant l'éthique artisanale du bien faire, j'ai trouvé des clés pour m'orienter dans notre époque frénétique. Au fil des ans et des chantiers, j'ai acquis cette conviction : l'apprentissage et la pratique d'un artisanat sont un ensemble d'expériences, de méthodes et de valeurs adaptées aux défis individuels et collectifs de la modernité. Ce livre est une enquête résolument subjective sur ce qu'une telle culture peut apporter dans une vie d'aujourd'hui. (pages 12-16)

Beaucoup plus qu'un éloge de la charpente, qui ne manquerait pas en soi de légitimité bien sûr, davantage qu'une ode aux métiers manuels et surtout pas un hymne dithyrambique à l'apprentissage vu par les chargés de com' habituels, cet ouvrage sensible, bien écrit, est un manuel d'apprentissage subjectif, réflexif, lucide. Il aidera certainement les nouvelles générations désorientées à trouver leur orient. Mais savez-vous ce que ce terme signifie en charpenterie ? Les compagnons parlent de l'orient pour désigner cette capacité des charpentiers à organiser un chantier, dans l'espace comme dans le temps. L'orient recouvre la vision dans l'espace nécessaire au levage, la capacité à s'adapter aux problèmes et aux imprévus, et le sens de l'organisation du chantier. (page 103)

On pourra lire aussi...

Sennett R. (2010), Ce que sait la main, la culture de l'artisanat, Albin Michel

Crawford M. (2010), Eloge du carburateur, essai sur le sens et la valeur du travail, La Découverte

Crasset O., 2019, La pensée bien charpentée, La vie des idées, 7 octobre 2019

Ce mot a été amodié le 8 octobre 2019

Ce billet a été modifié le 4 novembre 2019