Trop d'écran rend idiot*, obèse et distant
Par Jacques Vauloup le mardi 29 octobre 2019, 03:48 - Droit d'irritation - Lien permanent
Coup de gueule d'un père de famille avisé contre la société de l'écran toujours et partout allumé, La fabrique du crétin digital de Michel Desmurget, directeur de recherche à l'INSERM met en lumière les dangers de l'hyperconsommation précoce et durable des écrans par les enfants et les adolescents. Il s'appuie sur une très solide revue de la littérature scientifique : bibliographie de 77 pages, plus de 1000 références sourcées.
Trop, c'est trop
En-dessous de deux ans, en moyenne, les enfants passent 50 minutes par jour devant un écran (1h30 à 3h30 dans les milieux défavorisés). Soit 10% du temps éveillé.
Entre 2 et 4 ans = 2h45/jour
Entre 4 et 8 ans = 3h/jour. Plus de 1000 h/an, soit 25% du temps éveillé. Dont 70% en dehors de la présence parentale.
Entre 8 et 12 ans = 4h40/jour. Plus de 1700h/an. Usages récréatifs : jouer aux jeux vidéo, regarder des vidéos en ligne.
Entre 13 et 18 ans = 6h40/jour (en moyenne). 2400h/an, soit 40% du temps de veille. Soit l'équivalent de 2,5 années scolaires. Usages récréatifs dans plus de 95% des cas : jouer aux jeux vidéo, regarder les vidéos en ligne, réseaux sociaux.
Des mythes démystifiés
Dans la première partie de l'ouvrage Homo mediaticus (pages 33-173), le scientifique démontre le manque criant de rigueur scientifique et de neutralité de beaucoup de pseudo-experts et de divers relais médiatiques. Les ''digital natives, digital immigrants'' (Prensky, 2001) supposés être une nouvelle génération d'êtres humains experts dans le maniement des nouveaux outils et auxquels le système scolaire devrait s'adapter impérativement ne sont en réalité que des enfants qui se divertissent par les écrans sans faire de ceux-ci des usages créatifs : créer des contenus (textes, images, musique, graphisme) est une activité résiduelle dans la pratique des enfants et adolescents.
De multiples études scientifiques prouvent depuis des années que la surexposition aux écrans nuit au sommeil ? On trouve pourtant de nombreux pseudo-experts qui persistent, dans des médias nationaux à grande écoute, à nous vanter leur innocuité. Et si les écrans étaient aussi inoffensifs pour nos enfants, pourquoi les cadres dirigeants des entreprises qui vendent et développent ces remarquables outils choisissent-ils d'inscrire leurs enfants de maternelle et de primaire dans de coûteuses écoles privées sans écran ?
(page 101).
Intelligence entravée, santé menacée
Dans la deuxième partie de l'ouvrage Homo numericus, Michel Desmurget démontre que les outils numériques affectent les quatre piliers constitutifs de notre identité : le cognitif, l'émotionnel, le social et le sanitaire
(page 181). Toutes les études sérieuses montrent que plus les enfants passent de temps avec leurs doudous numériques, plus leurs résultats scolaires fléchissent. L'OCDE a ainsi constaté que malgré des investissements considérables en ordinateurs, connexions Internet et logiciels éducatifs, il y a peu de preuves solides montrant qu'un usage accru des ordinateurs par les élèves conduit à de meilleurs scores en mathématiques et en lecture
(Students, computers and learning : making the connection, OCDE, 2015). Mieux encore : toujours d'après l'OCDE, les pays ayant le moins investi dans les nouvelles technologies à l'école sont ceux où les élèves progressent le plus en compétences ; et les nouvelles technologies ne sont d'aucun secours pour combler les écarts entre les enfants favorisés et défavorisés.
Langage, concentration, sommeil, attention, mémoire, quotient intellectuel, sociabilité, contrôle des émotions sont impactés : plus d'écran, c'est moins d'échanges et de partages, condition indispensable au développement humain (page 261), c'est moins de langage, moins de lecture, moins d'attention focalisée, réflexive, mono-tâches et plus d'attention dispersée, exogène, multi-tâches dont on sait la nocivité. Bien sûr, il est plus rapide et surtout moins coûteux d'équiper des classes en ordinateurs que de former correctement des enseignants…
Constat peu réjouissant aussi du côté sanitaire : manque de sommeil (le sommeil est la colonne vertébrale de notre développement et un véritable atelier de maintenance de nos expériences, de nos vécus, de nos apprentissages, de notre mémoire), sédentarité accrue avec risque d'obésité, anorexie/boulimie, tabagisme, alcoolisme, toxicomanie, violence, sexualité à risques, dépression, etc.
Que faire donc face à une consommation numérique exponentielle, extravagante
et hors de contrôle
si délétère pour le développement intellectuel, émotionnel et sanitaire de nos enfants ? Comment éviter ce bombardement perceptif sur le cerveau de nos enfants dans l'enfance et l'adolescence, au moment même, unique dans la vie, où le cerveau a la plus grande plasticité et le plus grand potentiel de développement ? Résister bien sûr, encore et encore, aux envahisseurs et aux marchands de temps de cerveau disponible. Limiter drastiquement l'usage des écrans avant l'âge de 6 ans. En interdire l'usage dans la chambre de l'enfant. En contrôler effectivement les contenus délétères. Et retrouver du temps pour parler, échanger, dormir, lire, faire du sport, dessiner, danser, chanter, faire de la musique, flâner dans la nature. Blaise Pascal : Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre
. Quant à l'école, il est urgent d'y inventer une véritable pédagogie du numérique qui passe par une formation initiale et continue des professeurs à la hauteur des enjeux. Nous en sommes très loin pour le moment.
- Déf. Idiot : Etym. et Hist. 1612 « qui dénote un manque d'intelligence » ; 1719 idiot préjugé. Empr. au lat. class. idiota ou idiotes (adj. en lat. chrét.) « homme qui n'est pas connaisseur, ignorant », gr. « simple particulier, homme étranger à telle ou telle spécialité », d'où « ignorant, homme sans éducation ». Source : Trésor informatisé de la langue française.
Pour aller plus loin
Meirieu P. (2007), Une autre télévision est possible, Chronique sociale
Médiamétrie, Screen 360, Les usages vidéo des 6-14 ans, 14 septembre 2019
Dieu Osika S. (2018), Les écrans. Mode d'emploi pour une utilisation raisonnée en famille, Hatier
Annart J. coord. (2019), Jeux vidéo et éducation, ateliers de pédagogie vidéoludique, 190 p.
Ce billet a été modifié le 30 octobre 2019
Ce billet a été modifié le 4 novembre 2019