Chaque génération de sortant·es se trouve exposée au contexte économique du moment comme aux transformations plus structurelles affectant le marché du travail. Les enquêtes Génération du Cereq ont largement contribué à mettre en évidence les différentes dimensions de cette intégration, mais aussi souligné la question du temps que celle-ci nécessite – variable selon les individus et les périodes. De ce point de vue, les 7 années d’observation des jeunes sortis de formation initiale en 2010, qui complètent celles des Générations antérieures (1998 et 2004), nous permettent de pointer les évolutions majeures des 20 dernières années.

Génération 2010 : parcours plus difficiles

Dès 2012, dans un contexte économique de crise des dettes souveraines et de dégradation conjoncturelle durable, suivie d’une légère reprise qui n’a pas permis un rattrapage des niveaux d'avant la crise financière de 2008, les jeunes de a Génération 2010 ont subi un ralentissement de leur intégration professionnelle et une exposition au chômage en début de vie active supérieurs à leurs aîné·es des Générations 2004 et 1998. Remontée brutale du niveau de chômage, décrue ensuite du chômage. La mauvaise conjoncture en début de carrière aura donc retardé le processus d’accès à l’emploi de la Génération 2010. Conséquences sur les parcours : réduction du temps passé en emploi et donc de l’expérience professionnelle accumulée, trajectoire marquée par un certain éloignement de l’emploi (chômage persistant ou récurrent, inactivité durable, reprise des études ou formation longue).

Des transformations structurelles du marché du travail

La Génération 2010 a également dû composer avec des transformations structurelles du marché du travail : évolutions des pratiques de recrutements qui privilégient toujours plus les contrats à durée limitée (tremplin vers une carrière pour certains, trappe à précarité pour d'autres), faiblesse de la valorisation de l’expérience acquise tant en matière de rémunérations que de positions professionnelles. A ce jeu compliqué, les détenteurs de diplômes protecteurs s'en sortent moins mal que les autres.

Des parcours plus heurtés pour les moins qualifié·es

Ce sont les non-diplômé·es qui ont vu leur situation se dégrader le plus fortement. La part de temps qu’ils et elles ont passé en emploi pendant ces 7 années chute de 65 % à 46 %. Cette «raréfaction» de l’emploi vient bouleverser les trajectoires-types qui caractérisent leurs parcours professionnels. Ainsi, les trajectoires marquées par un éloignement de l’emploi sont désormais aussi fréquentes que celles dominées par l’emploi, alors qu’elles ne représentaient que 28 % des trajectoires de leurs aîné·es non diplômé·es.

Les diplômé·es de l’enseignement secondaire sont également affecté·es par un accès à l’emploi, et en particulier à l’emploi à durée indéterminée, plus difficile pour la Génération 2010. Pour autant, les trajectoires dominantes restent celles marquées par l’emploi et la stabilisation en emploi à durée indéterminée (49 %, contre 61 % pour leurs aîné·es). Ces constats traduisent des risques croissants de mise à l’écart de l’emploi des moins qualifié·es, et particulièrement de ceux·celles dépourvu·es de diplôme au sein d’une population de plus en plus diplômée.

Des diplômés du secondaire et du supérieur moins rémunérés

Les trajectoires d’accès à l’emploi des jeunes diplômé·es de l’enseignement supérieur ont été peu affectées par la conjoncture. La stabilisation en emploi à durée indéterminée demeure la norme et concerne les trois quarts d’entre eux. L’expérience en emploi accumulée lors des 7 premières années reste massive et comparable à celle accumulée par leurs homologues de la Génération 1998. Cependant, pour ces jeunes, cette expérience est devenue moins rémunératrice sur le marché du travail. Au point que les derniers salaires perçus, après environ 6 ans d’expérience accumulée, sont inférieurs, en euros constants, aux salaires perçus par leurs homologues de 1998.

Modération de la progression salariale conjuguée à une baisse marquée des évolutions de carrière ascendantes. Accès plus lent et moins fréquent aux postes de cadres après 7 ans sur le marché du travail. Ainsi, les opportunités offertes par les entreprises ne sont pas à la mesure de l’augmentation du nombre de diplômé·es de l’enseignement supérieur long. Le marché du travail et les entreprises ne font donc pas écho, en termes salariaux, à la hausse du niveau de qualification de leurs jeunes salarié·es ; la montée de l’offre de diplômé·es ayant été plus rapide que la demande d’emplois qualifiés, ou en tout cas, que leur reconnaissance et leur rétribution en tant que tels. Plus diplômées, les femmes ont été moins touchées par cette dégradation.

Bref, contraints à vivre des débuts de vie active dans une conjoncture difficile, où le diplôme semble de plus en plus nécessaire mais de moins en moins valorisé, les jeunes sans diplôme et diplômé·es du secondaire de la Génération 2010 se voient toujours plus exclu·es de l’emploi, et plus exposé·es au chômage et à la précarité. Dans le même temps, les jeunes diplômé·es de l’enseignement supérieur, de plus en plus nombreux·ses, voient baisser leurs chances d’accéder au statut de cadre et de bénéficier d’une rémunération que leur niveau d’étude semblait justifier pour les Générations précédentes. Pourtant, face à cet état de fait, 4 jeunes sur 5 se déclarent optimistes pour leur avenir professionnel, soit sensiblement autant que la Génération 1998 portée par un contexte conjoncturel nettement plus favorable. Tout se passe comme si les jeunes intégraient les transformations de la norme d’emploi et ajustaient leurs attentes en conséquence.

Pour en savoir plus

D. Epiphane, T. Couppié, Et les femmes devinrent plus diplômées que les hommes, Bref du Cereq, n°373, mars 2019, 4 p.

Chômage : les jeunes toujours aux premières loges, Observatoire des inégalités, 21 octobre 2019

Sorry, we missed you, long métrage, Ken Loach, octobre 2019, bande-annonce