Plus encore, la capacité du principal représentant de cette famille de pesticides se diffuse largement dans l’environnement hors des parcelles traitées, à des concentrations inattendues et alarmantes, en combinaison avec d’autres pesticides couramment utilisés. Pourquoi les gouvernants hypothèquent-ils à ce point et pour longtemps la santé de leurs concitoyens ?

Frères lombrics qui après nous vivrez, N'ayez les coeurs contre nous endurcis...

Les auteurs ont analysé 180 échantillons de sols dans la région de Chizé (Deux-Sèvres), sur les 450 km2 de la zone atelier Plaine et Val de Sèvre du CNRS, grande plaine céréalière utilisée pour l’étude des interactions entre les activités agricoles et l’environnement. Ils y ont recherché la présence de trente-et-un pesticides (insecticides, fongicides ou herbicides), dont vingt-neuf sont actuellement autorisés en agriculture. Conclusion : la totalité des prélèvements analysés contient au moins une des substances recherchées et 90 % un mélange d’au moins un insecticide, un fongicide et un herbicide. Les auteurs ont prélevé leurs échantillons sur des parcelles agricoles conduites en agriculture conventionnelle, en agriculture biologique, mais aussi sur des prairies et des haies n’ayant jamais reçu de traitements. Dans 40 % des cas, on retrouve plus de dix pesticides différents. Réjouissant, non ?

Frères lombrics qui après nous vivrez, N'ayez les coeurs contre nous endurcis...

Ces trente-et-une substances ont été recherchées sur des vers de terre Allolobophora chlorotica prélevés dans les sols des mêmes parcelles. Dans le cas où on a pu retrouver des vers de terre dans certains des prélèvements, « les taux d’imidaclopride que l’on retrouve dans les vers de terre sont faramineux, estime ainsi l’écologue Vincent Bretagnolle. Ils indiquent un phénomène de bio-accumulation. » Sur près de 80 % des vers de terre analysés, on retrouve le principal néonicotinoïde en vente sur le marché. « Les concentrations retrouvées sont spectaculaires : 43 % des vers de terre présentent un taux d’imidaclopride de plus de 100 ppb (parties par milliard) et 8 % en ont plus de 500 ppb » précise M. Bretagnolle.

Frères lombrics qui après nous vivrez, N'ayez les coeurs contre nous endurcis...

Non seulement l’imidaclopride est retrouvé à des concentrations très fortes sur les lombrics, mais il est fréquemment détecté en compagnie d’autres produits. Le niveau d’exposition de ces organismes essentiels à la bonne santé des sols présente fréquemment « un risque de toxicité chronique élevé » écrivent les chercheurs. Une situation jugée par M. Tooker « très inquiétante, non seulement pour les lombrics eux-mêmes, mais pour l’intégrité des chaînes alimentaires et la santé environnementale en général ». « Pour certains oiseaux qui se nourrissent presque exclusivement de vers de terre à certaines périodes de l’année, les concentrations d’imidaclopride que nous retrouvons laissent suspecter des effets quasi létaux » explique de son côté M. Bretagnolle.

Frères lombrics qui après nous vivrez, N'ayez les coeurs contre nous endurcis...

« La contamination généralisée des sols censés être exempts de substances de synthèse soulève des questions sur l’ampleur réelle de la pollution de l’environnement par les pesticides et ses répercussions », juge M. Tooker. De fait, écrivent les chercheurs, ces travaux illustrent « le potentiel des pesticides comme agents de changement global ».

Frères lombrics qui après nous vivrez, N'ayez les coeurs contre nous endurcis... Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Et acceptez, je vous prie, de vous laisser transverbérer par le poème-mer d'Andrée Chedid, qui exhorta l'être humain à ré-inventer la terre-mère qu'il embrena :

Si tu ré-inventais la terre / Songerais-tu à lever océans et soleils / À convoquer les saisons / À mettre au monde les hommes ?

Si tu ré-inventais la terre / Drainerais-tu les plaies de nos batailles / Absorberais-tu nos vides et nos sanglots / Répandrais-tu l'ivresse d'exister ?

Andrée Chedid, Textes pour un poème, NRF-Gallimard, 2020, p. 500.