Quoi de commun entre les cloîtres et les boiseries des anciens monastères de Jésuites, d'Oratoriens ou de Mauristes (Bellevue, Le Mans), les lycées-barres des années cinquante (Aristide Briand, St-Nazaire) et les lycées récents jouant sur l'angle ou sur la courbe (De Lattre de Tassigny, La Roche-sur-Yon), sur le béton, l'acier, le bois ou le verre (Jean Moulin, Angers) ? Quoi de comparable entre des établissements familiaux de 300 ou 400 élèves (Jean Rondeau, Saint-Calais) et les cités scolaires de plus de 2000 élèves (Aristide Briand Saint-Nazaire, Chevrollier Angers) ? Quoi de similaire entre le lycée napoléonien machine à classes prépas de centre-ville et le lycée professionnel de la périphérie ouvrière ?

Tout est passé en revue, des salles de classe aux ateliers, des dortoirs aux gymnases. Les personnels et leurs caractéristiques ne sont pas oubliés : les évolutions du triptyque managérial originel d'allure bonapartiste proviseur-censeur-intendant sont décrites, mais on n'oublie pas la grande variété des enseignants et les autres personnels associés à la bonne marche du paquebot.

Extrait 1. Fierté des lycées professionnels

Il n'est pas neutre que des enseignants expriment spontanément leur souci de permettre à leurs élèves de reconstruire, de retrouver l'estime de soi et l'image positive d'eux-mêmes, la contribution de toute l'équipe pédagogique à l'orientation professionnelle des élèves. Pas neutre de les voir définir leur tâche comme d'apprendre à fabriquer un objet ou réaliser un service, mais aussi de faire découvrir tous les métiers autour de leur spécialité. Pas neutre de les entendre exposer avec fierté les succès de leurs élèves dans tel projet, tel concours. Pas neutre enfin de les voir définir le lycée professionnel aussi comme un lieu d'excellence, un lieu où les jeunes qui ont pu se sentir rejetés par le système scolaire tel qu'il fonctionne en collège trouvent enfin la place et la dignité qu'on semblait leur refuser alors qu'ils ont des compétences et des capacités indispensables à notre société (Introduction, pages 28-29, à partir des propos d'une enseignante du lycée Louis-Jacques Goussier de Rezé).

Extrait 2. Concierge atout faire

Il fut un temps où le concierge recueillait, sans le vouloir, les confidences des élèves, les récriminations des familles ou des professeurs, vérifiait les carnets de sortie avec les correspondants désignés par les familles, était présent au retour des internes le dimanche soir, accompagnait solennellement les préfets, maires, inspecteurs et autres visiteurs de marque vers le bureau du proviseur ou du censeur, astiquait sa sacoche de vaguemestre avant de se rendre à la Poste, distribuait craies et éponges, vendait de petites fournitures et friandises ou même, comme au lycée de Luçon dans les années 1950, allumait tous les poêles à quatre heures du matin... (Article Concierge, par Jean-Pierre Landais, page 167).

Extrait 3. Gracq, Julien (1910-2007)

Le temps du lycée de Louis Poirier (lycée Clémenceau, Nantes, 1921-1928) fut pour le futur Julien Gracq, tel qu'il l'exprima dans La forme d'une ville (1985), la claustration de l'interminable année scolaire. Il y évoque la fonction de reproduction sociale du lycée : la proportion des Français accédant aux Humanités ne dépassait pas vers 1925 celle des classes privilégiées d'Ancien Régime. Le lycée était le paradis des enfances bourgeoises et même petites bourgeoises qui se retrouvaient le dimanche sur la plage de La Baule. Nous nous retrouvions sans complexe, mes camarades et moi, comme une aristocratie de l'enseignement secondaire... (Article Gracq, Julien, par Jean-Pierre Branchereau, pages 272-273. L'auteur, qui incrémente l'ensemble du dictionnaire de ses très utiles cartes et croquis, dessine une cartographie commentée Un interne et sa ville, amodiée par des extraits de Gracq)

L'ouvrage donne à voir notamment en quoi la dévolution de compétences sur les lycées de l'État à la Région en 1985 aura permis de fortifier une jeune collectivité régionale (1972) qui, bel exemple en Pays-de-la-Loire, prit à bras-le-corps ce transfert de compétences pour faire de la scolarisation de la jeunesse et de son orientation un élément-clé de sa gouvernance. Les quatre codirecteurs de cet ouvrage de référence, Alain Croix, Jean-Pierre Branchereau, Didier Guivarc'h et Jean-Pierre Landais sont à louer pour leur audace éditoriale, leur témérité et leur travail ! Merci à eux d'avoir tout particulièrement mis en valeur le lycée agricole et le lycée professionnel, ces inconnus. Deux (légers) regrets pour terminer : la paucité de la parole même des lycéennes et lycéens, la focalisation unique sur les lycées publics tant le lycée privé donne aussi à voir de la vie passée et actuelle des Ligériens et de leur consumérisme scolaire assumé. Mais il est vrai que les sacoches de mon Pégase n'auraient sans doute pas supporté 6 kg...

Pour aller plus loin

Branchereau J.-P., Croix A., Guivarc'h D., Panfili D., (dir.) (2012), Dictionnaire des lycées publics de Bretagne, Presses universitaires de Rennes

Pour aller beaucoup plus loin

Pochon S. (2021), Derrière la grande porte, une année à Henri IV, éditions du détour