Une « grande » école : à quoi ça sert ?
Par Jacques Vauloup le vendredi 7 mai 2021, 04:58 - S'orienter - Devenir - Lien permanent
Oui, à quoi ça sert, les « grandes » écoles ? Et à qui ? Si ce n'est à dévaloriser et à mépriser les « moyennes » et les « petites » ? Et que dire des « sans école » ? Quelle est cette idiosyncrasie hexagonale qui dénomme enseignement
supérieur
le troisième degré d'enseignement ? Ce mérite républicain
(ou napoléonien), machine à (re)produire des élites
, qui clive des grandes
écoles sociologiquement et financièrement sélectives et une université dédiée à celles et ceux qui restent ?
Le constat est sans appel. Les enfants de cadres supérieurs représentent au moins la moitié des élèves des grandes écoles et parfois jusqu’à 70 % (ENA et Polytechnique), alors qu’ils constituent à peine un quart de l’ensemble des jeunes de leur âge. La part des enfants des classes favorisées trustant ces places convoitées dans le cursus honorum n'a cessé de progresser dans les années 1980 et s'est stabilisée à ce niveau très inégalitaire depuis 1990.
J'ai rêvé d'un monde...
Un monde où il n’y aurait plus d’écoles supérieures, de grandes écoles
, de voies royales
réservées aux rusés, aux réseaux et aux classes favorisées, et d'où disparaîtraient les écoles inférieures, les petites écoles, et les voies moins royales, dévolues par charité compassionnelle aux enfants des classes défavorisées...
Un monde où l’on chercherait moins à savoir dans quel lamentable état les étudiants pauvres et isolés entrent dans nos établissements qu’au triste état où nous les avons mis quand ils en sortent...
Un autre monde que celui où, quand on réussit à l’école et que les parents ont de l'argent, on n’a pas besoin de faire un projet, on a une place réservée au soleil en classe préparatoire aux « grandes » écoles. Et, quand on y réussit moins bien, on est contraint de construire son projet personnel dans les plus brefs délais, ce qui se résume en fait à accepter, en toute liberté bien sûr, de se soumettre aux propositions d'adultes influents, avec en prime l’inquiétude au ventre de celui qui sait que personne ne l'attend nulle part...
Un monde qui donnerait sa chance à chacun, à chacune, et lui autoriserait une vraie nouvelle chance en cas d’hésitation, d’erreur d’aiguillage, d’essai non concluant, où il y aurait des filets de sécurité pour tous et non réservés aux plus riches et aux plus chanceux...
Un monde qui ne relèguerait pas la plus grande partie de sa jeunesse hors de la vie sociale et professionnelle jusqu’à des âges où les grands parents des adolescents d’aujourd’hui étaient déjà parents, mais leur donnerait des terrains d’expérimentation, à l’école et hors l’école, leur permettant de grandir et d’apprendre...
Un monde où on attribuerait des financements publics décents aux universités pour donner aux plus de 2 millions d'étudiantes et d'étudiants qui les fréquentent autant de raisons d'espérer en un avenir décent qu'aux happy few surprotégés des classes prépa...
Et puis, je me suis réveillé...
On ne sortira pas du marasme actuel dans lequel sont plongés les étudiants pauvres et isolés, exacerbé en contexte de pandémie, sans de profondes, courageuses et disruptives réformes. Le désarroi des jeunesses lycéennes et étudiantes mérite plus qu'une attention conjoncturelle et compassionnelle de la part des gouvernants. Et que quelques miettes financières indécentes et inopérantes. Un véritable New Deal pour la jeunesse est attendu afin de ne pas désespérer les générations appelées à reconstruire un monde défait. Notamment un revenu garanti par l'État pour les moins de 25 ans pauvres et isolés. Mais aussi la fermeture des classes préparatoires aux grandes écoles dans les lycées et la réattribution aux universités des moyens ainsi dégagés afin de créer d'indispensables classes préparatoires à l'université intégrées aux campus. La soif légitime d'égalité, de revenu minimum et de travail décents croît inexorablement dans la jeunesse. Qui entendra la voix des jeunes pauvres et isolés avant qu'il ne soit trop tard ?