Si engoncée jusqu'alors dans ses préjugés désuets, l'académie française vient de rendre, dans sa séance du 28 février, un avis sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions qui, espérons-le, ne restera pas un rapport de circonstance occasionné par l'actualité, mais ouvrira à d'autres transgressions de la part de l'auguste assemblée. Le rapport réalisé par Dominique Bona et Danielle Sallenave présente en préambule l'exposé des motifs :

En ce début de XXIe siècle, tous les pays du monde, et en particulier la France et les autres pays entièrement ou en partie de langue française, connaissent une évolution rapide et générale de la place qu’occupent les femmes dans la société, de la carrière professionnelle qui s’ouvre à elles, des métiers et des fonctions auxquels elles accèdent sans que l’appellation correspondant à leur activité et à leur rôle réponde pleinement à cette situation nouvelle. Il en résulte une attente de la part d’un nombre croissant de femmes, qui souhaitent voir nommer au féminin la profession ou la charge qu’elles exercent, et qui aspirent à voir combler ce qu’elles ressentent comme une lacune de la langue. Comme ces choses-là sont joliment dites...

Et d'ajouter, page 4 :

Si la féminisation des noms de fonctions, de titres et de grades fait apparaître des contraintes internes à la langue française qu’il n’est pas possible d’ignorer, il n’existe aucun obstacle de principe à la féminisation des noms de métiers et de professions. Toutefois, l’Académie constate les évolutions en cours, qu’il lui revient d’encadrer et le cas échéant d’orienter, sans chercher pour autant à les freiner ou à les devancer. Elle refuse toute tentative pour forcer l’usage, qui risquerait d’introduire des formes mal reçues du public. La commission tient à rappeler que, dans ses prises de position antérieures, l’Académie n’a cessé d’en appeler à la liberté de l’usage : l’imposition de normes rigides en matière de féminisation méconnaît en effet le souhait exprimé par certaines femmes de conserver les appellations masculines pour désigner la profession qu’elles exercent. (page 12)

Après avoir rappelé que la féminisation des métiers manuels était depuis longtemps utilisée dans le langage courant, l'académie constate que, pour les fonctions placées au sommet de la hiérarchie comme pour les noms de métiers, se posent un certain nombre de questions et apparaissent certaines difficultés. Il est indéniable que la langue a jusqu’à présent marqué une certaine réserve à féminiser les appellations correspondant aux fonctions supérieures de la sphère publique. (page 15)

Dans un ouvrage récent Le ministre est enceinte, le linguiste et universitaire Bernard Cerquiglini évoquait avec brio la grande querelle de la féminisation des noms. De son côté, en 2017, Danielle Sallenave, l'une des 5 académiciennes (soit 13,88% de femmes au total de l'assemblée immortelle), observait en 2017 que le masculin n'est pas neutre, il a été choisi comme genre dominant. Allons, encore un effort, Messieurs les Immortels (rappelons-le : 86,12% du total des membres de l'académie) ! Acceptez de perdre un peu de votre superbe et de votre domination masculine : une parité réelle des places et des honneurs dans votre docte et aristocratique assemblée est à ce prix !

Comment enseigner l'égalité entre les filles et les garçons ? Sur quoi agir ? Dans un texte élaboré en 1997 à l'occasion d'une formation de professeurs, je proposai quatre axes d'intervention : promouvoir, dans le respect de l’identité de genre, et les complémentarités des sexes, une éducation au décryptage des représentations stéréotypées ; permettre à davantage de jeunes filles de se donner de bonnes raisons pour oser attaquer les bastions masculins de la formation initiale, et aux garçons d'oser les métiers traditionnellement féminins ; concevoir une action plus sur la demande (en amont du lycée, en amont des travaux avec les partenaires économiques et sociaux) que sur l’offre (partenaires économiques) ; et surtout, au-delà de l’effet d’image ou d’annonce, dont les effets risquent d’être bien temporaires, réactiver la problématique de l’orientation des filles dans une problématique générale de l’éducation à l’orientation.

Comment agir ? Renforcer la vigilance des éditeurs régionaux et locaux de documentations, et celle des informateurs au contact des élèves (professeurs, psychologues, documentalistes) en utilisant des mentions de type « tous les métiers, toutes les formations sont ouverts et ouvertes aux garçons et aux filles » ; genrer toutes les statistiques sur l’évaluation des effets du système éducatif en commençant par celles qui concernent la classe, l'école, l'établissement hic et nunc ; poser et penser la problématique du genre de l’orientation non seulement avec des jeunes filles, mais en présence de groupes mixtes ; attaquer le problème au coeur des différents dispositifs de formation initiale et continue des personnels enseignants, d’éducation, de direction, d’orientation ; entreprendre des actions prioritairement en direction des jeunes filles laissées pour compte (SEGPA, décrocheuses scolaires, handicap) plutôt qu'à l'intention des héritières de l'ENA ou des ingénieures.■

Ce mot a été amodié le 10 mars, puis le 20 mars et le 4 novembre 2019

Pour aller plus loin

Académie française (2019), La féminisation des noms de métiers et de fonctions, 20 p.

Gallot F., Pasquier G. (2018), Enseigner l'égalité filles-garçons, Dunod, 2018

Revue Education et formations, n°98, ministère de l'éducation nationale, décembre 2018

Filles et garçons sur le chemin de l'égalité, MEN-DEPP, mars 2019, 41 p.

Vouillot F. (2019), Orientation professionnelle : liberté, égalité, mixité, revue Projet, 20 février 2019