Extraits

Le conseiller d'orientation, c'est l'orienteur, voire l'orientateur. (...) Qu'est-ce qu'un orienteur ? Qu'est-ce qu'un orientateur ? Quelqu'un qui oriente... L'orienteur, c'est quelqu'un qui peut donner des renseignements, des informations et des conseils en ce qui concerne l'orientation des enfants, leurs choix de formations ou de professions, mais c'est aussi quelqu'un qui peut décider de ces orientations, de ces choix, autrement dit qui prendrait la responsabilité d'avoir le pouvoir dans ce domaine. (...)

S'il est perçu comme orienteur, le conseiller d'orientation a-t-il pris assez de temps pour s'interroger sur sa fonction, pour la définir, pour la présenter à ses partenaires de la communauté éducative, aux élèves, aux parents et pour en montrer la complexité ? Autrement dit, a-t-il réfléchi réellement à ce qu'il fait et à ce qu'il pourrait faire ?

Un moteur à trois temps parfois toussotant ou grippé

En professionnel exceptionnellement auto-réflexif sur sa pratique toute récente − au moment où l'auteur rédige son article, il n'a exercé en tant que conseiller d'orientation qu'un an ou deux − Jacques Giust décrit les trois moments du processus d'orientation : l'orientation-conseil, l'orientation-prise de décision, l'orientation-affectation.

L'orientation-conseil

Aider, conseiller le jeune (et sa famille) dans ses choix scolaires et professionnels, dégager ou faire naître ce qui est possible et souhaitable, ou ce qui semble tel, pour le jeune. Aider le jeune et sa famille à préciser ou à établir un projet, à mettre en place une stratégie pour réaliser ce projet : projet de formation, projet professionnel, projet de vie.

L’orientation-conseil est la phase préparatoire à la prise de décision en orientation ; elle est le moment où les méthodes psychologiques − et surtout la dimension de psychologue clinicien − trouvent à s'employer en priorité. Par sa formation, le conseiller d'orientation trouve ici son rôle primordial, sa fonction même, par rapport aux autres membres de l'équipe éducative, même s'il peut et s'il devrait être aidé dans cette tâche par d'autres personnes : professeurs principaux, professeurs, chefs d'établissement, documentalistes, représentants du monde social et du travail.

L'orientation-prise de décision

Dans l'enseignement du second degré, c'est principalement une institution, le conseil de classe, qui doit se prononcer sur les choix de l'enfant et de sa famille. Ce sont donc le chef d'établissement et les enseignants qui possèdent, par leur nombre, le pouvoir de décision dans cette institution (...). C'est dire que, dans cette étape de l'orientation-prise de décision, quelle que soit la décision du jeune et de ses parents, ce sont les enseignants qui pèseront du plus grand poids. (...)

Et ce n'est pas un mince paradoxe de constater que, tout en possédant effectivement et légalement cette prérogative de décider des orientations (fonction orienteur) qu'ils ne semblent pas du tout vouloir abandonner à quelqu'un d'autre, les chefs d’établissement et les professeurs reportent généralement cette image d'orienteur sur le conseiller d'orientation, qu’ils projettent cette image sur lui. Pourtant le conseiller d’orientation possède, en fait, très peu de pouvoir à ce niveau.

L'orientation-affectation

Les conseillers d'orientation connaissent bien les problèmes qui se posent dans cette phase de l'affectation. En permanence, en gardant à l'esprit le mieux-être de chacune des personnes auprès desquelles ils tiennent conseil et avec lesquelles ils proposent de délibérer pour agir, ils jonglent en permanence entre les formations où il n'y a pas de problème d'affectation et où il y a des débouchés.

Celles où il manque des places pour les élèves et qui, pourtant, ont des débouchés dans le monde du travail, les formations qui ne posent pas de problèmes d'affectation, où il y a de la place, mais peu de débouchés, les formations qui ne mènent ni vers des débouchés assurés, ni vers des formations complémentaires mais qui pourtant "remplissent" et enfin les formations où il n'y a pas de problèmes d'affectation, mais toujours des places vacantes et des débouchés.

Une image de marque victime des apories de l'affectation

Extraits

Le conseiller n'est ni l'orienteur (il ne prend pas les décisions d'orientation), ni l'affecteur (il n'est pas responsable du placement des jeunes dans les établissements de formation). Mais il est un des éléments les plus importants de la phase d'orientation-conseil, telle que nous venons de la décrire ; en ce sens, il est conseiller en orientation, c'est-à-dire psychologue avec tout ce que cela comporte de formation clinique et de formation à l’entretien, et à la fois spécialiste de l'information collective et individualisée, personnalisée.

Pour exprimer sa colère et son indignation devant la tartufferie qui consiste, faute de places dit-on aux élèves et aux familles, à rejeter 50 à 80% des demandeurs d'une formation au moment de l'affectation, Jacques Giust, dans une belle anaphore, stigmatise le décalage souvent constaté et légitimement questionnant, pour un conseiller d'orientation, entre une orientation-conseil correctement effectuée, une orientation-décision correspondant aux désirs du jeune et une orientation-affectation non conforme :

À quoi sert l'orientation-conseil lorsque le nombre de places est insuffisant à satisfaire les vœux mûrement réfléchis des jeunes ?

À quoi sert l'action du conseiller, l'information personnalisée sur le monde scolaire, ses voies de formations et sur le monde du travail, son action psychologique par les entretiens, les tests, les questionnaires d'intérêts ou de personnalité, la possibilité qu'il donne au jeune le pouvoir de se construire une image de lui-même où soient intégrés ses projets, ses goûts, ses désirs, ses refus, ses moyens, ses résultats, son caractère ?

À quoi sert tout ce travail si, lorsqu'il arrive à son terme − un choix conscient et réfléchi, les possibilités d'accueil viennent tout détruire ? N'est-il pas alors un luxe inutile qui ferait mieux d'être remplacé par une information technique sur les possibilités d'accueil, sur le nombre de places qu'on trouve dans les formations très demandées ?

Mais alors, qu'on ne parle plus d'orientation-conseil ! Qu'on ne parle plus de psychologie, de relation d'aide, et même – faisant référence au texte de loi, aux circulaires nationales et académiques – du soi-disant dialogue censé s'instaurer entre l'équipe éducative et la famille du jeune qui ont à choisir une formation !

La fonction orienteur en tension entre profs et conseillers d'orientation

Pourquoi le conseiller est-il perçu comme l'orienteur, celui qui décide des orientations des élèves alors que dans la loi, dans les textes réglementaires mais aussi dans la réalité, dans le fonctionnement habituel des établissements scolaires, ce sont les chefs d’établissement et les enseignants qui possèdent et remplissent effectivement cette fonction, qu'ils en aient pleinement conscience ou non ? Pour l'auteur de l'article, par méconnaissance du monde du travail et refus d'assumer le sale boulot de la sélection, les professeurs opèrent un déplacement, une projection de leur fonction d'orienteurs sur le conseiller.

Pour Jacques Giust, cette projection par l'enseignant du rôle d'orienteur sur le conseiller d'orientation masque et occulte la relation qu'il entretient, indirectement certes, avec le monde du travail et ses dures réalités.

Ce masquage, cette dénégation permettent à l'enseignant de continuer à vivre dans la bonne conscience, en croyant que l'école est un monde à part où sont abolis les intérêts financiers et qu'ainsi, il ne se salit pas les mains au contact des caractéristiques et des problèmes fondamentaux du monde du travail.

De cette façon, le conseiller peut servir de bouc émissaire et être chargé de tous ces maux qui viennent du monde du travail et de l'économie, puisqu'il fréquente et connaît ce monde un peu plus que la plupart des enseignants.

Pour aller plus loin : Voir le texte complet du chapitre 2 en annexes .doc et .pdf

À suivre : chapitre 3/3, Les représentations du conseiller d'orientation : le conseiller comme testeur-affecteur