EXTRAITS

On ne peut pas continuer de faire semblant de confondre le tenir conseil avec des modèles, d’autres pratiques apparues à des époques antérieures et construites pour des objectifs différents, comme psychothérapie ou examen psychotechnique. On peut préférer, selon l’actualité des modes, des termes voisins différents : entretien, aide, audit, tutorat, médiation, accompagnement, bilan, counseling, coaching, mais l’acte de conseil traverse les âges. Même si le terme ancien tenir conseil : délibérer pour agir est trop souvent devenu donner des conseils, comme si le sens fondamental ne pouvait pas être retenu, comme si le travail des sciences humaines ne l’avait pas renouvelé. (...)

(...) La consultance est l’ensemble articulé des pratiques de tenir conseil aux différents niveaux d’interaction sociale (relation-groupe-institution-culture). (...) La consultance est l’art de tenir conseil à tous les niveaux d’existence dans tous les rapports humains interactifs pouvant se développer. Il y a un esprit commun du conseil à travers tous les niveaux d’interaction. Le microcosme de la consultance doit être homothétique au macrocosme de l’existence. (...) La consultance vise à créer une écologie du développement humain. C’est dans cette interaction personne-situation-temps que les fondements du développement ou non-développement humain − exclusion, réifications, aliénations − sont travaillés. Il s’agit donc bien d’apporter une contribution à la construction d’un milieu où des apprentissages humains soient possibles. Tout ceci est bien lié au temps de part en part : la consultance est pro-active et pas seulement ré-active. (...)

La consultance n’oppose pas les modes de communication et d’interaction, mais entend au contraire les utiliser simultanément ou successivement selon l’objectif. Un conseil de groupe peut très bien compléter (ou être vécu en alternance avec) un entretien de conseil, mais aussi un entretien téléphonique, etc. Le conseiller a nécessairement une pluralité de rapports dans une opération de consultance. Il a donc à développer sa capacité d’être présent de différentes manières avec chaque interlocuteur dans différentes médiations sociales. Si ces rapports ne sont pas travaillés méthodiquement, le conseiller comme son consultant restent piégés dans des pratiques empiriques aveugles, in-sensées, non situées par rapport à l’ensemble. (...)

(...) La consultance est polyphonique dans ses médiations et plurielle dans son contenu. Il s’agit bien d’aborder sur une même scène les dimensions corporelles, imaginaires, rationnelles tout autant que les dimensions culturelles, politiques, économiques. Il s’agit bien de se ré-approprier ce qui a éclaté en problèmes spécialisés pour en limiter les dégâts, travailler à une constante re-singularisation des trajectoires collectives et des destins individuels. Il y a besoin de consultance pour imaginer de nouveaux scénarios de situations collectives difficiles, pour préparer les décisions, pour évaluer des informations, pour aborder des actions nouvelles, pour prendre en compte les variables qualitatives des problèmes de techniques nouvelles, pour permettre des apprentissages en commun, pour créer de nouveaux modes de vie, de travail et de loisirs, pour l’aménagement de problèmes de santé, et pas seulement l’information. (...)

La consultance contribue à la création collective, à l’expérimentation sociale dans la vie quotidienne, comme aux actions d’orientation, d’insertion sociale et de formation. La consultance est nécessaire pour élargir le champ des possibles, pour dépasser la passivité sociale, pour créer le tissu social. Il y a et il y aura d’autant plus nécessité de consultance qu’il y a de problèmes de société urgents. Ce ne sont pas les sondages d’opinions qui peuvent régler ces questions, mais de vraies délibérations de citoyens, de personnes responsables, pour une société capable de réfléchir et de se décider après délibération active, selon une éthique de la discussion. La consultance ne vise pas seulement des résultats externes, mais aussi le changement des comportements, la capacité d’action de chacun, et le mode de raisonnement, d’imagination, de relation, etc. La consultance vise un renouvellement des rapports humains, une meilleure régulation des organisations. La consultance n’a pas seulement le souci d’une efficacité sociale, mais d’un développement humain. C’est notamment se soucier d’organisations qui ne créent pas, dès l’origine, des rapports de violence, de domination, d’infériorisation, etc. Avec la consultance, ce qui est en cause, c’est l’ensemble des modes de vie. (...)

La consultance est une contribution à l’institution de la société en tant que telle, délibérant explicitement sur son fonctionnement. Il y a d’autres voies : intrigues, luttes, guerres. La consultance n’existerait pas si le monde n’était pas organisable pour le rendre viable, mais de même, il n’y aurait pas besoin de consultance si les transformations pouvaient être magiques. La consultance vise à la fois l’action et la formation. (...)

TABLE DES MATIERES

I — LE SENS DE LA CONSULTANCE

II — LA DÉMARCHE DE CONSULTANCE

III — LA FORMATION DES CONSEILLERS D’ORIENTATION ET DES CONSEILLERS D’EMPLOI

Toute réflexion sur la formation des conseillers oblige à s’interroger sur le genre de conseillers souhaité et sur leur professionnalisation-formation. Si le conseiller n’est pas un inspecteur, un examinateur, un contrôleur, un inquisiteur, il n’est pas davantage un gourou, un guide, un maître de vérité, un directeur spirituel. Mais on ne peut plus le prendre comme un simple facilitateur un peu naïf des rouages sociaux, situé dans un isolement paisible. Il n’est pas une belle âme, un apôtre de bons sentiments dans un milieu barbare. S’il n’est pas un expert de la pensée unique ou le guérisseur de sociétés, il est au coeur des contradictions, des conflits, des contraintes de cette société, comme il est à l’écoute des violences et des souffrances. Face à tout cela, il est de plus en plus amené à remplir de multiples tâches à différents niveaux d’interaction sociale : famille, groupe, institutions, culture. Il devient à la fois écoutant, méthodologue, animateur, formateur, entraîneur, éveilleur, concepteur, innovateur, etc. Ce qui ne facilite pas la construction de son identité. Des représentations anciennes − type gourou, devin − et modernes − type technocrate − obscurcissent son action. Le professionnel relève tout autant de compétences (savoir faire) que de connaissances (savoirs acquis) et d’attitudes personnelles (le fameux savoir être). La formation n’a jamais complètement pris au sérieux, à égalité, les trois pôles de développement d’une profession. L’insistance sur les compétences semble aujourd’hui urgente. Le conseiller a de plus en plus à travailler non seulement avec des personnes de tout âge, mais aussi avec des groupes, des institutions, des associations. La profession de conseiller est atomisée, parcellisée ou étouffée selon les structures d’appartenance. (...)

CONCLUSION

Le conseil est inéluctable, nécessaire, indispensable à la construction d’une société. Tenir conseil, c’est contribuer à l’écologie du développement humain. Il s’agit bien de montrer le rôle clef du conseil dans les années à venir, de le sortir de son apparente faiblesse. Le fonctionnement médiocre du conseil ne peut qu’aider à vivoter des dysfonctionnements, non pas à construire des actions sensées. Par exemple, plus on parlera d’échec social de l’orientation, plus il y aura à reprendre plus fortement le travail de conseil, je dirais même le devoir de tenir conseil, car les décisions ne sont pas magiques. Il ne s’agit pas de faire plus du même. Il s' agit d’un changement d’optique qui permette de déconditionner des pratiques engluées. La vigueur du conseil, et non son ronronnement confortable, peut produire un savoir nouveau issu de la pratique.

Mais tant qu’on continuera à faire comme si le conseil n’existait pas en soi, mais n’était que l’annexe de pratiques nobles et comme si le conseiller n'était que le supplétif obligé de la dernière mesure gouvernementale, il ne faudra pas s’étonner du manque de force de cette pratique. Il s’agit donc de raviver l’intérêt du conseil, l’importance de ses enjeux. Peu à peu, une langue de la pratique se construit. Mais trop de chapelles, d’ignorances réciproques demeurent pour avancer en force. Il n’y a jamais de vrai débat autour du conseil, encore moins de réunions régulières. On parle beaucoup plus d’aide, de thérapie, d’accompagnement des mourants, d’expertise, alors que des milliers de conseillers travaillent avec difficulté tous les jours.

Une mise à plat complète des pratiques paraît de plus en plus urgente pour clarifier les langages différents, les statuts et les rôles de tous les conseillers, pour éviter les gaspillages de vie humaine. Une mise à plat pour permettre à la consultance de croître, de se renouveler, c’est-à-dire de redéfinir ses structures fondamentales pour s’adapter à un environnement sans cesse fluctuant. Une mise à plat pour une vraie discussion ouverte où serait entendu le sens de chacun dans sa différence. Rien ne se fera sans une approche dialogique pour permettre l’écoute des silences, des autocensures, des rapports pouvoir-savoir. (...)

Nous proposons en annexes, sous formats .docx et .pdf le texte complet de l'article d'Alexandre Lhotellier paru dans la revue Spirale, 1996 n°18, pp. 143-161, ainsi que, dans la même veine, l'article Compétences psychologiques pour une société globale émergente : un autre regard sur la "personne de demain" de Rogers en tant que modèle, par Maureen O'Hara, publié dans la revue Approche centrée sur la personne, pratique et recherche 2018/1, n°25, pages 1-25.